Le chemin et le choix

Aujourd'hui encore, j'éprouve la même sensation que dans mon enfance, cette sensation que j'avais en marchant dans les rues...

Mon premier chemin fut une petite ruelle, bordée d'une haie de mûriers et d'hibiscus d'un rouge éclatant. Mon père, craignant que je ne glisse et ne tombe, moi, petite fille d'un ou deux ans apprenant à marcher, avait jonché le chemin de briques et de mortier. La route du village n'était qu'à quelques pas, cinq ou sept en tout, mais à chaque fois, je me sentais en sécurité, soutenue par l'amour et la protection de mon père.

La petite ruelle m'ouvrait sur un monde plus vaste que la maison, les berges magnifiques, les hibiscus qui s'offraient toujours à ma vue. Depuis le chemin du village, qui menait aux champs, à la rivière, le soleil qui brillait à l'horizon, les sauterelles qui volaient en tous sens sur la digue, le trèfle aux reflets violets, je croisais de nombreux villageois se précipitant aux champs à l'aube pour labourer et biner…

Le chemin qui menait à mon village était boueux et impraticable par ces froides journées d'hiver pluvieuses. Je portais mes sandales et marchais pieds nus sur ce chemin de boue pour me rendre au temple du village, où j'assistais à l'école du dimanche. Je touchais la terre de mon village natal, je suivais les traces des villageois et des buffles qui m'avaient précédée. Parfois, je ressentais encore la chaleur de leur présence. Je les remerciais en silence, cette chaleur qui me donnait le courage d'avancer et emplissait mon cœur d'amour et de tendresse… Je pensais toujours que ceux qui m'avaient précédée avaient voulu me laisser un peu de cette chaleur…

Depuis le chemin du village, je me suis aventuré sur de nombreuses routes plus larges. « À l'origine, ce monde n'avait pas de routes ; les gens marchent sans cesse et deviennent des routes. » Je comprends et j'aime profondément cette citation de l'écrivain Lu Xun, dans son sens le plus simple. Pourtant, je n'en avais jamais entendu parler durant mon enfance. Mais où que j'aille, lorsque je marche, je garde l'habitude de regarder lentement mes pieds, en pensant que je marche sur des millions d'empreintes. Je marche sur une route tracée par le premier, et que des centaines de milliers d'autres ont élargie, rendue plus claire, et transformée en chemin, en une grande route… Je marche à travers tant de sueur, de larmes, d'aspirations, d'espoirs, et parfois même de désespoir et de misère. Les empreintes de ceux qui souffrent, de ceux qui sont heureux, de ceux qui sont pressés, de ceux qui prennent leur temps… Mais elles ont contribué à rendre mon chemin aujourd'hui plus clair, plus large, et toujours plus chaleureux et plus sûr.

Plus tard, j'ai repensé à l'histoire du « chemin » — qui existait en moi dans son sens le plus brut — et j'ai compris que tous nos « chemins » sont en réalité des histoires du « chemin ». Il y a tant de chemins, tant de bifurcations sur la route que nous choisissons. Nous atteignons le rivage par notre propre choix, par notre conscience, par notre expérience, notre éveil, notre discernement, et si possible, que l'on soit aventureux ou sage, il faut être celui ou celle qui trace son propre chemin. Mais il est indéniable qu'on ne peut nier l'histoire, qu'on ne peut nier que le chemin emprunté porte les traces des pionniers. On ne peut nier que pour parvenir à l'expérience d'aujourd'hui, il a fallu trébucher et en payer le prix…

Les internautes utilisent souvent l'expression « retournement de situation », signifiant un changement soudain de perception, d'idéologie, de pensée et d'action. Certes, il faut toujours revenir sur ses pas pour atteindre son but. Ou bien il faut emprunter un autre chemin pour parvenir à destination, mais comment nier avoir parcouru un chemin ensemble, ou peut-être même des chemins plus longs ? C'est le chemin tracé par nos ancêtres.

Alors, quoi qu'il arrive, disons merci, même si demain nos chemins se séparent...


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