L’Égypte et l’UE : façonner un avenir commun
Le premier sommet Égypte-Union européenne (UE) a marqué une nouvelle étape dans les relations bilatérales, faisant passer le cadre de la coopération traditionnelle à un partenariat stratégique global. Cet événement a non seulement démontré l'importance croissante de l'Égypte dans la politique méditerranéenne et africaine de l'UE, mais a également reflété les efforts conjoints déployés pour bâtir un avenir fondé sur la stabilité, le développement durable et une prospérité partagée.
Double avantage
Le premier sommet Égypte-UE, qui s'est tenu le 22 octobre à Bruxelles, constitue une étape importante dans le renforcement des relations bilatérales entre les deux parties, qui entretiennent depuis plus de vingt ans une coopération étroite dans de nombreux domaines. Dans un contexte de fortes fluctuations politiques, sécuritaires et économiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA), la reconnaissance officielle par Le Caire et Bruxelles de leur partenariat comme un partenariat stratégique global témoigne de la nécessité d'une intégration des intérêts et reflète une perception commune du rôle croissant de l'Égypte dans la stabilité régionale.
Depuis 2020, l'UE a redéfini de manière proactive sa politique étrangère dans le voisinage méridional, considérant l'Égypte comme un pilier de la sécurité méditerranéenne et un pont entre l'Europe, le monde arabe et l'Afrique. Le contexte économique et politique mondial confère également au renforcement des relations Égypte-UE une importance stratégique particulière. Le conflit prolongé en Ukraine continue d'avoir un impact considérable sur la sécurité énergétique et les chaînes d'approvisionnement de l'Europe, incitant l'UE à rechercher des partenaires fiables dans la région. Pour l'Égypte, ce sommet se tient à un moment crucial, alors que le pays s'efforce de maintenir sa stabilité socio-économique face aux pressions inflationnistes, à la dette publique et à la demande croissante d'emplois. Le gouvernement égyptien a lancé le « Rapport national sur le développement économique », un cadre politique quinquennal visant à promouvoir le secteur privé, attirer les investissements étrangers, développer la production industrielle et renforcer la compétitivité. Un renforcement de la coopération avec l'UE, à travers un plan de soutien de 7,4 milliards d'euros pour la période 2024-2027, constitue non seulement un engagement financier, mais aussi politique de l'Europe en faveur des réformes et du développement durable de l'Égypte.

Les relations entre l'Égypte et l'UE ont été façonnées par l'accord d'association de 2004, qui a jeté les bases d'une zone de libre-échange et d'un dialogue politique régulier. Cependant, près de vingt ans plus tard, alors que le monde entre dans une nouvelle ère de compétition géoéconomique, les deux parties reconnaissent la nécessité d'un cadre plus souple et inclusif pour relever les défis transfrontaliers tels que le changement climatique, la sécurité alimentaire, la crise énergétique ou les migrations. La signature du « Partenariat global et stratégique » en mars 2024, concrétisée lors du premier sommet, constitue une étape naturelle dans ce processus.
Symboliquement, ce sommet confirme le rôle de plus en plus actif de l’Égypte dans l’architecture Nord-Sud et montre que l’UE recherche des liens plus durables avec ses partenaires extérieurs, fondés sur des intérêts mutuels plutôt que sur une aide unilatérale. Les deux parties ont des intérêts clairs : l’Égypte a besoin d’accéder aux capitaux, aux technologies et aux marchés européens ; et l’UE a besoin d’un partenaire stable et fiable, capable de coordonner les dossiers régionaux.
Plus largement, le sommet Égypte-UE est également perçu comme un test de la capacité de l’Europe à façonner un « cercle de voisinage stable » autour de la Méditerranée, tout en démontrant l’approche pragmatique de Bruxelles en matière de politique étrangère, dans le respect de ses valeurs et de ses intérêts stratégiques. Pour le Caire, c’est quant à lui l’occasion d’affirmer sa place centrale dans les structures de coopération régionale, d’élargir son espace de politique étrangère et de renforcer son rôle de pont entre l’Afrique, le monde arabe et l’Europe.
Pilier de la stabilité régionale
La coopération entre l'UE et l'Égypte revêt une importance non seulement bilatérale, mais aussi profonde pour la stabilité de la Méditerranée et du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Face aux zones de tension telles que Gaza, la Libye ou le Sahel, qui engendrent des défis sécuritaires complexes, le renforcement de la coordination entre les deux parties est considéré comme une mesure stratégique pour préserver la paix et endiguer la propagation de l'instabilité vers le nord.
Lors de la récente crise à Gaza, l’Égypte a été l’un des rares pays à maintenir des canaux de communication efficaces avec les parties prenantes, tout en assurant l’acheminement de l’aide humanitaire via le point de passage de Rafah. L’UE, principal donateur de l’Autorité palestinienne, considère qu’aucun processus de paix ne peut se concevoir sans le rôle du Caire. Par conséquent, le renforcement de la coopération politique et humanitaire avec l’Égypte est une option incontournable de la stratégie régionale européenne.

L’impact de cette relation est également manifeste à l’échelle méditerranéenne. Face à l’augmentation des flux migratoires illégaux due aux conflits et aux crises économiques en Afrique et au Moyen-Orient, l’Égypte est devenue un partenaire clé des efforts de l’UE en matière de contrôle et de gestion des migrations. Bruxelles apporte un soutien financier via des programmes d’aide et de développement communautaire, et collabore avec le Caire à la mise en place de mécanismes juridiques pour prévenir la traite des êtres humains et créer des moyens de subsistance pour les populations vulnérables. Ce changement d’orientation, passant du « contrôle des frontières » au « développement durable » dans la politique migratoire commune, témoigne de la nouvelle approche de l’UE : une coopération fondée sur des intérêts mutuels plutôt que sur une imposition unilatérale.
Outre les domaines sécuritaire et humanitaire, la coopération UE-Égypte contribue également à redéfinir l'ordre économique et énergétique régional. L'Égypte s'affirme comme un pôle énergétique de la Méditerranée orientale, capable d'exporter du gaz naturel liquéfié (GNL) vers l'Europe et de développer des projets d'énergies renouvelables de grande envergure. Dans un contexte où l'UE cherche à réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, le renforcement des relations avec l'Égypte revêt une double importance stratégique : garantir la sécurité énergétique et promouvoir la transition écologique. Des projets tels que le « Corridor de l'électricité verte » reliant l'Égypte à la Grèce et à l'Italie, ou la coopération dans la production d'hydrogène vert, sont perçus comme des symboles d'une vision commune d'une région méditerranéenne durable et interconnectée.
Le partenariat UE-Égypte dépasse ainsi le cadre de la diplomatie traditionnelle et devient un pilier de la stabilité régionale. De Gaza à la gestion des migrations, de la sécurité énergétique au développement durable, cette coopération contribue à façonner un « arc de stabilité » autour de la Méditerranée, où les intérêts stratégiques des deux parties convergent et œuvrent à la réalisation de l’objectif à long terme de paix, de développement et de sécurité commune.


