L'« échiquier » syrien et le rôle de « juge » de la Russie
(Baonghean) - La guerre qui dure depuis près de neuf ans en Syrie et qui implique de nombreux acteurs est comparable à un échiquier politico-militaire complexe et désordonné. Les événements de la semaine dernière modifient rapidement la donne. Le retrait des troupes américaines, l'entrée en guerre de la Turquie, l'alliance des Kurdes avec le gouvernement syrien… tout cela crée une situation inédite dans ce pays du Moyen-Orient.
Avantages pour le gouvernement syrien
La décision américaine de retirer ses troupes de Syrie est perçue comme un « feu vert » pour que la Turquie lance son offensive tant attendue contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie. Mais Ankara n'est pas la seule partie à « bénéficier » du retrait américain.
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Des chars turcs pénètrent dans la ville de Tel Abya et attaquent les Kurdes de Syrie. Photo : Getty Images/EPA |
Le président syrien Bachar el-Assad, visé par les pays occidentaux, a désormais l'occasion de reprendre l'initiative sur l'échiquier syrien. De manière assez surprenante, les forces kurdes du Nord ont dû « appeler à l'aide » auprès du gouvernement syrien pour qu'il unisse ses forces afin de contrer l'attaque turque. Conformément à l'accord entre les deux parties, l'armée syrienne s'est déployée le long de la frontière syro-turque afin de prévenir les attaques de l'armée du pays voisin, de protéger l'intégrité territoriale et d'empêcher l'escalade du conflit et de provoquer une catastrophe humanitaire dans la région.
Face à la puissante armée turque et au refus des Etats-Unis de se manifester, les forces kurdes n'ont eu d'autre choix que de faire un compromis avec Damas.
En contrepartie, les Kurdes ont dû renoncer à une grande partie de leur autonomie dans le nord-est du pays. Il s'agit d'un changement majeur depuis le début de la guerre civile syrienne. Auparavant, le gouvernement syrien considérait les milices kurdes du nord comme des « traîtres » pour s'être alliées aux États-Unis dans l'espoir de créer un État indépendant. Mais face à la puissante armée turque, les États-Unis ayant « tourné le dos », les forces kurdes n'ont d'autre choix que de transiger avec Damas.
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Des civils fuient l'invasion des troupes turques dans le nord de la Syrie. Photo : AFP |
Ce compromis représente une « victoire » sans combat pour le gouvernement syrien. L'accord d'alliance entre les Kurdes et le gouvernement syrien offre à Damas une occasion rare de prendre le contrôle de nombreuses villes du nord-est de la Syrie et de progresser vers l'unification de l'ensemble du territoire après des années de conflit. Cet événement est d'une importance capitale, car le gouvernement de Damas ne contrôle actuellement qu'environ 60 % du territoire, tandis que le nord-est, vaste et riche en ressources, notamment en pétrole, en ressources hydriques abondantes et en terres agricoles fertiles, était auparavant contrôlé par les forces kurdes.
Même s'il n'est pas encore certain que le gouvernement du président Bachar al-Assad puisse rétablir sa souveraineté sur la région nord-est du pays, au moins des représentants du gouvernement syrien et des Kurdes ont pu entrer en contact et négocier un accord qui réponde aux intérêts des deux parties.
La crise syrienne touche à sa fin, selon les observateurs, et Assad pourrait en sortir vainqueur dans tous les scénarios possibles. Si les Kurdes acceptaient de se rendre totalement au gouvernement syrien pour éviter un massacre turc, le régime d'Assad gagnerait, bien sûr. Si la Turquie parvenait à s'emparer des zones kurdes – un processus qui pourrait s'avérer sanglant – Assad gagnerait néanmoins, sans plus d'épine dans le pied des séparatistes du nord.
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Arrivée des troupes gouvernementales syriennes dans la ville de Tel Tamer, province de Hassaké. Photo : AFP |
Le rôle de la Russie en tant que « juge »
La Russie n’est pas seulement un allié du gouvernement syrien, mais joue également le rôle de « juge »…
La Russie est l'allié le plus important du gouvernement syrien depuis des décennies. Elle est entrée dans la guerre en Syrie en 2015 pour protéger le régime du président Assad. L'armée russe a livré des armes à Damas, formé des milliers de soldats et placé des conseillers dans des unités militaires syriennes clés. Mais avec le retrait des États-Unis, la Russie n'est plus seulement un allié du gouvernement syrien, mais aussi un « juge » dans l'évolution du paysage de la guerre.
Pour l'instant, l'armée russe patrouille la frontière nord de la Syrie afin d'empêcher les forces syriennes et turques de s'affronter. Selon les experts militaires, outre l'objectif de contenir les affrontements entre les deux forces, le déploiement de troupes témoigne de la volonté russe de s'assurer que la Turquie ne cherche pas à s'enfoncer davantage en territoire syrien. Auparavant, la Russie avait également joué un rôle de médiateur, exhortant le gouvernement syrien et les Kurdes à signer un accord de coopération temporaire.
Le président syrien Bachar el-Assad (à gauche), le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdogan. Photo : Reuters
Quant à la Turquie, Moscou a fait preuve de sagesse en ne soutenant pas publiquement l'opération « Source de Paix » d'Ankara, sans toutefois s'y opposer fermement. La Russie s'est contentée de lancer des avertissements afin de garantir que l'opération militaire d'Ankara dans le nord de la Syrie soit limitée en ampleur et en durée. Le président Poutine a appelé son partenaire turc à réfléchir attentivement à ses actions et à retirer ses forces du territoire syrien une fois l'opération terminée, garantissant ainsi la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie.
Lors de leur dernier entretien téléphonique, le 15 octobre, Poutine et Erdogan ont réaffirmé leur soutien à l'intégrité territoriale de la Syrie et au maintien d'un règlement politique dans le pays. Selon les analystes, la campagne militaire d'Ankara offre également à Moscou une précieuse occasion de « chasser » l'armée américaine hors de Syrie et d'accroître son influence.
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Convoi militaire russe aux abords de Manbij, après le retrait des troupes américaines de la zone. Photo : Reuters |
La Russie a réussi à amener les Kurdes à la table du dialogue avec le gouvernement syrien. La prochaine étape consiste à résoudre le problème turc. Selon des sources russes, le président turc Erdogan devrait se rendre en Russie dans les prochains jours pour rencontrer son homologue Poutine et discuter des questions de sécurité en Syrie. Comparées à Washington, les négociations entre Moscou et Ankara seront beaucoup plus faciles à mener à bien, d'autant plus que ces deux pays entretiennent de bonnes relations dans de nombreux domaines, de l'économie au militaire. L'issue de la guerre en Syrie pourrait bientôt être tranchée après des discussions entre Poutine et Erdogan, ainsi qu'entre le gouvernement de Damas et les Kurdes.
Si ce rôle d'« arbitre » est couronné de succès, il pourrait mettre fin à près de neuf ans de guerre en Syrie. Ce serait une victoire géopolitique majeure pour le président russe Poutine, conférant à Moscou une nouvelle position au Moyen-Orient, alors que Washington s'éloigne de plus en plus de la région.
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Carte de la situation en Syrie. Graphiques : BBC |