Ancien ambassadeur d’Allemagne : L’unilatéralisme belliqueux transforme-t-il les États-Unis en un « État voyou » ?

Manifestation anti-américaine à Berlin. Photo : Global Look Press

L'ancien ambassadeur d'Allemagne aux États-Unis, Wolfgang Ischinger, a exprimé son inquiétude quant au fait que les mesures politiques déstabilisatrices de Donald Trump - du retrait de l'accord sur le nucléaire iranien à l'imposition de droits de douane sur l'Union européenne - pourraient alimenter le sentiment anti-américain en Allemagne, rendant de plus en plus difficile pour Berlin de protéger ses relations avec Washington.

Dans une interview accordée à Reuters, Ischinger a exhorté les Allemands à ne pas abandonner le partenariat transatlantique avec les États-Unis, mais a reconnu que les mesures aliénantes de Trump pourraient être « préjudiciables » aux relations américano-allemandes.

Trump contre le monde ?

Le professeur Peter Schulze, expert en relations internationales à l'Université de Göttingen, a déclaré que l'Allemagne n'est pas le seul pays à se sentir mis au défi par les initiatives de politique étrangère isolantes du président américain.

« L'administration Trump et le Congrès ont essentiellement cherché à soustraire les États-Unis au regard de la majorité des nations souveraines du monde », a-t-il déclaré, ajoutant qu'un « profond fossé » s'était creusé entre l'Europe et Washington. Il doutait toutefois que les politiques aliénantes de Trump conduisent à un « antiaméricanisme dangereux et hostile » en Europe, prédisant plutôt que l'Allemagne et d'autres pays européens se contenteraient d'attendre l'arrivée d'une nouvelle administration à Washington – une stratégie que Schulze qualifiait d'« esquive ».

John Laughland, philosophe, historien et auteur britannique, a déclaré que l'UE était choquée par la décision de Trump d'imposer des droits de douane au bloc. Mais les précédentes décisions du président américain de se retirer de l'accord sur le nucléaire iranien et de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël constituaient également de dangereux avertissements pour l'Europe.

Toutes ces mesures laissent penser aux pays européens – et je pense qu'ils ont raison – que la nouvelle administration américaine souhaite mener une politique de puissance, une politique d'affirmation unilatérale des intérêts américains. Et bien sûr, cela place l'Europe dans une position très faible, car l'UE a l'habitude de coopérer avec les Américains. Sans cette coopération, le projet européen lui-même sera en péril.

Alors que Trump a cherché à s'aliéner les pays européens et le Canada, ses relations avec l'Arabie saoudite et Israël semblent viser à renforcer d'anciennes alliances, a ajouté Laughland. Même le Japon, autre proche allié des États-Unis, a été largement épargné par le comportement aliénant de Trump.

Sujet imprévisible

Illustration : Getty

Laissant de côté les inquiétudes concernant la montée de l’anti-américanisme, l’indifférence de Trump a également eu des conséquences inattendues qui se font sentir à l’échelle internationale.

Laughland a souligné que la décision de Trump de se retirer de l'accord de 2015 avec l'Iran et de l'accord de Paris sur le climat a fait des États-Unis un partenaire peu fiable aux yeux des alliés européens.

« Trump a fait de l'Amérique un acteur imprévisible des relations internationales. Il est rare qu'une administration rompe les traités et accords signés par son prédécesseur », a-t-il affirmé. Si d'autres présidents sont imprévisibles « à leur manière », Trump a essentiellement « renforcé la réputation de l'Amérique comme État voyou, un pays qui ne respecte pas les règles ».

Le plus inquiétant, cependant, affirme Laughland, est que les politiques aliénantes de Trump pourraient poser un risque de conflit avec l’Iran : « Nous le savons, les néoconservateurs, le Pentagone et Trump sont tous d’accord. »

Schulze a déclaré que l'unilatéralisme de Trump pourrait avoir des conséquences de grande envergure qui affecteront la géopolitique pendant des décennies.

La préférence du dirigeant américain pour ses alliés traditionnels et armés pourrait « accélérer la formation d'une constellation d'acteurs clés, que ce soit par la coopération ou le conflit », a souligné Schulze. Il a ajouté que si la concurrence entre les États-Unis et la Chine est susceptible de déterminer « l'ordre mondial émergent », s'aliéner les pays européens et autres pourrait ne pas aider Washington à maintenir sa position hégémonique.

Ne faites pas entièrement confiance à Trump

Le président américain Donald Trump et le président français Emmanuel Macron lors du sommet du G7 au Canada, le 8 juin. Photo : Reuters

Aussi audacieuses que soient les attaques de Trump contre l'Europe, il est important de se rappeler que le président américain était autrefois une star de télé-réalité, note Laughland.

« Trump est un génie pour faire parler de lui. C'est un animateur de télé-réalité, il a remporté les primaires en ne participant pas aux débats. Il a le don de se mettre au centre de l'attention. Et il y parvient souvent en disant des choses qu'il ne pense pas, ou sur lesquelles il revient ensuite sur ses propos. On l'a vu après le sommet d'Helsinki. De même, en politique étrangère, Trump peut tenir des propos qui semblent choquants et qui choquent beaucoup de gens peu habitués à son langage, mais ce n'est pas ce qu'il veut dire. Ou alors, ce qu'il veut dire n'est pas forcément ce qu'il dit », a déclaré Laughland.