Éducation à la gratitude

(Baonghean) - Je viens de faire un voyage à Con Dao - l'une des terres sacrées où chaque mois de juillet, des gens de tout le pays, sans que personne ne les prévienne, affluent pour commémorer les martyrs héroïques qui ont sacrifié leur vie dans les deux guerres de résistance pour sauver le pays.

Dans cette foule dense, de nombreuses familles amenaient des enfants pour qui la guerre n'était qu'un mot, lu dans la littérature et les livres. Le groupe s'est rendu dans les prisons héritées de la période coloniale française et de l'impérialisme américain. Bien des années ont passé, mais ce lieu semble encore conserver une atmosphère sombre et pesante, témoin de tant de sang et de larmes.

Les cellules exiguës qui abritaient autrefois des dizaines de personnes, les cruels instruments de torture jadis tachés du sang de nombreux soldats et intellectuels patriotes… Ces objets inanimés semblent dotés d'une âme, comme s'ils racontaient aux générations futures l'histoire d'une époque sombre.

Le cimetière de Hang Duong est un précieux vestige historique qui dénonce le régime colonial et impérial, tout en éduquant la jeune génération sur la tradition. Photo : Duc Anh.

La narratrice était une femme autochtone à la peau bronzée et à la voix simple. Son dernier récit s'achevait près d'un puits en plein air et elle pleurait à la fin. Tout le monde eut un pincement au cœur lorsqu'elle dit : « L'histoire que je viens de raconter est celle de mon père. Lui aussi était prisonnier de cet enfer sur terre. Bien des années plus tard, il se réveillait souvent au milieu de la nuit à cause de cauchemars. Il me racontait qu'il rêvait de ses camarades morts en prison et qu'il revivait cette vie infernale. De ce jour jusqu'à la fin de sa vie, mon père n'a plus jamais remis les pieds ici, bien qu'il ait continué à vivre sur l'île. »

Tous ceux qui ont un jour foulé Con Dao ont peut-être été profondément choqués en visitant ces prisons, considérées comme l'enfer sur terre. Ou par le dicton que les insulaires se transmettaient : « Sur cette île, la nuit, lorsqu'un vivant dort, trois morts veillent sur lui. » Ou encore, en se promenant dans les rues du cimetière de Hang Duong, en voyant des rangées de chaises alignées de chaque côté du chemin, on leur a expliqué que ces chaises étaient destinées non seulement aux vivants, mais aussi aux défunts.

Même si nous avons entendu des histoires ou lu de nombreux livres, journaux et documents sur les horreurs de la guerre et les immenses sacrifices des générations précédentes, rien n'est plus réel et touchant que de voir des images et des objets de nos propres yeux. Au cœur de cette vie paisible, si on ne nous le rappelle pas, nous risquons d'oublier le passé, puis d'oublier qui nous sommes et d'où nous venons.

La prison de Phu Tuong (Con Dao), célèbre pour ses « cages du tigre », a été construite en 1940, avec une superficie de plus de 5 000 mètres carrés comprenant 120 cellules avec des barreaux de fer au-dessus, et 60 salles « de bronzage » sans toit.

Il est difficile d'éduquer nos générations futures pour qu'elles comprennent véritablement les leçons de leurs ancêtres. Et il est tout aussi difficile de les blâmer, car elles sont nées à l'ère des motos, des voitures, des avions, des ordinateurs, des smartphones, d'internet et des réseaux sociaux. Une vie paisible et prospère est certes précieuse, mais il n'est pas certain que les gens de notre époque comprennent et apprécient véritablement la valeur de leur vie.

Je retournerai à Con Dao et, la prochaine fois, j'emmènerai mes enfants avec moi. Car, plus que toute histoire ou tout enseignement, je souhaite qu'ils en soient témoins et en fassent l'expérience par eux-mêmes. Ainsi, ils cultiveront en eux le souvenir et la gratitude pour ceux qui ont succombé à la vie paisible d'aujourd'hui.

Hai Trieu