Steven Gerrard et la beauté de l'imperfection

Si le grand dramaturge William Shakespeare devait revenir à la vie et écrire une tragédie sur le football, la vie et la carrière de l'ancien capitaine de Liverpool récemment retraité constitueraient un excellent sujet.

« Que le sang de mon corps jaillisse et teinte de rouge le ciel de Liverpool. J'aime Liverpool d'un amour ardent. Ma détermination à atteindre le sommet à Anfield s'est encore accrue après la mort de Jon-Paul. » Tels sont les mots de Gerrard dans son autobiographie « Mon Autobiographie », publiée en 2006 et récompensée par le prix du « Livre sportif de l'année » aux British Book Awards 2006.

Jon-Paul est le nom du cousin de Gerrard, le plus jeune des 96 victimes qui ne se sont jamais réveillées lors de la catastrophe de Hillsborough survenue le 15 avril 1989, lors du match entre Sheffield et Liverpool. Hillsborough a enlevé à Liverpool un petit ange de seulement 10 ans (Jon-Paul), mais a insufflé au cœur d'un autre garçon de 9 ans (Steven Gerrard) le désir de faire quelque chose pour l'équipe, la motivation qui a fait d'Anfield une grande légende.

Le grand amour de Gerrard pour Liverpool vient de la tradition familiale et d'une tragédie avec son cousin.

Le Liverpool FC est la religion de la famille Gerrard, et la mort de Jon-Paul est une prière de cette religion en Gerrard. Sur la route du terrain d'entraînement de Liverpool, la voiture de Gerrard ralentissait systématiquement en passant devant le mémorial de Hillsborough. Il s'arrêta à l'endroit où le nom de Jon-Paul Gilhooley figurait sur le mémorial, fit le signe de croix et poursuivit sa route en silence.

Gerrard, avec son amour indéfectible pour Liverpool, comprenait que la catastrophe de Hillsborough n'avait pas seulement emporté son cousin. Cet incident l'avait aussi laissé, ainsi que des millions de supporters de Liverpool, avec un profond ressentiment qui a duré 23 ans, les privant de nombreux titres qu'ils méritaient. Et lui, Steven Gerrard, le capitaine, deuxième parmi les 100 meilleurs joueurs de l'histoire de Liverpool, se voyait porter la responsabilité de mener l'équipe au titre de champion d'Angleterre. Ce serait le jour où la douleur, le chagrin et la honte seraient oubliés, laissant place à la gloire et au sourire de Liverpool, au sommet de l'Angleterre.

On ne s'étonnera pas que Gerrard ait pleuré lors de la 34e journée de la saison 2013-2014, après la victoire décisive 3-2 contre Manchester City. C'est à ce moment-là qu'il voyait le titre de champion à portée de main. C'est à ce moment-là que son rêve d'enfant allait se réaliser et que Jon-Paul sourirait dans sa tombe. Mais à quatre marches du paradis, Gerrard a chuté sur la deuxième marche lors d'une glissade désastreuse contre Chelsea lors de la 36e journée.

La tragédie de la vie de Gerrard réside dans la chute qui l'a empêché de rejoindre Liverpool pour atteindre le paradis - le championnat de Premier League.

Si le grand dramaturge anglais William Shakespeare devait revenir à la vie pour écrire une tragédie dédiée au football, quel meilleur sujet pourrait-il trouver que l'histoire de Steven Gerrard et de son amour pour Liverpool. Un joueur qui s'est élevé à travers l'amour et la douleur avec Liverpool, s'est dévoué sans relâche pendant 17 ans, a disputé plus de 500 matchs et marqué 120 buts, juste pour offrir à son équipe chérie un titre de champion d'Angleterre, mais qui a finalement été balayé par le vent.

Quoi de plus inachevé pour une histoire qui aurait dû être aussi belle qu'un roman, quand Gerrard faillit se débattre avec la prière près de la pierre commémorative de Shankly Gates ? Mais au lieu d'un sourire, il reçut aussi amertume et moqueries après une erreur millénaire qui ne pouvait être effacée.

Istanbul, 25 mai 2005, 54e minute de la finale de la Ligue des champions, AC Milan - Liverpool. Milan menait 3-0 grâce à un doublé d'Hernan Crespo et un but de Paolo Maldini. Presque tout le monde pensait que le match était terminé, mais Gerrard, lui, n'y croyait pas. Il sauta haut pour tromper Dida de la tête, réduisant le score à 1-3. Gerrard célébra ensuite le but en serrant les dents, les bras écartés et en criant à tous ses coéquipiers de ne pas abandonner.

Répondant à cet appel, en seulement six minutes, de la 54e à la 60e, le stade d'Istanbul a été témoin de l'impensable : Liverpool a égalisé 3-3. Le moral de Milan s'est effondré, les Milanais se sont inclinés aux tirs au but et ont vu Liverpool remporter le titre. L'entraîneur de Liverpool de l'époque, Rafael Benitez, a confié : « Cette soirée magique à Istanbul n'aurait jamais eu lieu sans Gerrard. »

Le retour classique pour remporter la Ligue des champions 2005 a été la seule étape brillante de la carrière inachevée de Gerrard.

Durant ses presque vingt années de carrière professionnelle, Gerrard a été à son meilleur lors de ce match, et la prestigieuse Ligue des champions a été la plus grande consolation après une vie inachevée dans le brouillard du jeune homme, toujours pressé de réprimer sa peur, de chercher la victoire pour le maillot qu'il était prêt à teindre en rouge au prix de son sang. Gerrard a joué avec émotion, a gagné par sublimation, et a malheureusement perdu aussi à cause de l'émotion.

Hier, Gerrard a dit adieu à sa carrière. C'est à ce moment-là que le monde a officiellement cessé de voir Steven Gerrard sur les terrains de football. Ce jour-là, il a remercié tous ceux qui l'avaient visité, ceux qui lui avaient donné confiance et les supporters. En réponse, son ancien coéquipier Xabi Alonso a publié sur Twitter une photo de Gerrard et a écrit une phrase courte mais significative : « Une légende à jamais ».

Selon VNE