Nouveau Premier ministre malaisien : des bons et des mauvais moments

Conservateur, audacieux et flexible

Voilà ce que l'on peut dire du nouveau Premier ministre malaisien, Muhyiddin Yassin. M. Yassin est connu comme un homme politique conservateur, attaché à la philosophie « les Malais d'abord » dans une société multiethnique. Issu d'une famille d'intellectuels musulmans, Muhyiddin Yassin a rejoint le parti nationaliste malaisien United Malays National Organization (UMNO) dans l'État de Pagoh en 1971, après avoir obtenu une licence en économie et en études malaises. Depuis, il est considéré comme une figure clé de la faction conservatrice de l'UMNO. Il est rapidement devenu vice-président du parti.

En 15 ans, il est passé du statut de membre du conseil exécutif de l'État à celui de ministre en chef de l'État de Johor, occupant ce poste de 1986 à 1995. Il a ensuite occupé de nombreux postes ministériels dans les gouvernements précédents au cours de la période 1995 à 2015. Il s'agissait de ministre de la Jeunesse et des Sports, ministre du Commerce intérieur et des Affaires des consommateurs, ministre de l'Agriculture, ministre du Commerce et de l'Industrie et ministre de l'Éducation.

M. Muhyiddin Yassin a également joué un rôle important dans la victoire de l'ancien Premier ministre Najib Razak aux élections de 2008. De ce fait, il est devenu un fervent partisan de M. Najib en tant que vice-Premier ministre et ministre de l'Éducation. À cette époque, M. Najib et Muhyiddin Yassin ont tous deux reçu le soutien de l'ancien Premier ministre Mahathir Mohamad, également membre chevronné de l'UMNO.

Cependant, avec ses opinions conservatrices et ses principes, M. Muhyiddin Yassin s'est opposé à toute politique qu'il jugeait inappropriée. Par exemple, lorsqu'il a pris ses fonctions de ministre de l'Éducation, Muhyiddin n'a pas hésité à abolir la politique, prônée sous M. Mahathir dans les années 1990, d'enseignement des sciences et des mathématiques en anglais dans les écoles publiques. Il a instauré l'enseignement du malais comme langue principale dans toutes les matières, arguant que cela correspondait aux souhaits des parents conservateurs.

Le nouveau Premier ministre malaisien Muhyiddin Yassin signe un document lors de son premier jour au bureau du Premier ministre à Putrajaya, le 2 mars 2020. Photo : AFP

Lorsque le scandale 1MDB a éclaté en 2015, Muhyiddin a également appelé publiquement à un examen plus approfondi de l'implication de Najib, contrairement à la plupart de ses collègues du cabinet qui ont choisi de défendre Najib. Selon Channel New Asia, ce désaccord a conduit à son expulsion de l'UMNO, après quoi l'homme politique a rejoint Bersatu et est devenu président exécutif du parti fondé par Mahathir Mohamad. Après que Bersatu a rejoint le Parti de la justice populaire (PKR), le Parti d'action démocratique (DAP) et Amanah pour former PH, il a été élu vice-président de la coalition. Muhyiddin a été ministre de l'Intérieur dans le gouvernement du Premier ministre Mahathir Mohamad jusqu'à la démission de ce dernier le 24 février.

Les observateurs estiment que ce n'est pas un hasard si M. Muhyiddin a été nommé Premier ministre dans un contexte de troubles politiques en Malaisie. Une personnalité aussi expérimentée et adaptable que M. Muhyiddin est censée « réparer » les profondes fissures qui sillonnent actuellement la scène politique malaisienne. Cependant, il s'agit certainement du plus grand défi de la carrière de cet homme politique.

M. Muhyiddin Yassin était député dans le gouvernement de l'ancien Premier ministre Najib Razak (à droite). Photo : AFP

La route difficile

Les médias régionaux ont annoncé que M. Muhyiddin était le vainqueur de la compétition entre M. Mahathir Mohamad et M. Anwar Ibrahim. Mais il est encore trop tôt pour savoir si cette victoire portera ses fruits.

Muhyiddin Yassin a été élu Premier ministre de Malaisie, mais rien ne garantit qu'il obtiendra le soutien de la majorité des députés. Une heure seulement avant son investiture, Mahathir Mohamad, fondateur et dirigeant du Bersatu, a déclaré que Muhyiddin n'était pas un « Premier ministre légitime », faute de bénéficier du soutien nécessaire des députés.

M. Mahathir Mohamad avait précédemment déclaré que 114 députés (sur 222) étaient en faveur de sa nomination au poste de Premier ministre. Cette situation risque de semer le chaos dans les prochains jours, les forces soutenant l'ancien Premier ministre Mahathir Mohamad affirmant qu'il détient suffisamment de sièges à la Chambre des représentants (au moins 112/222 sièges) pour prétendre au poste. Il est possible que ces forces initient une motion de censure à la Chambre des représentants. La Chambre des représentants malaisienne devrait commencer à siéger le 9 mars. Ce sera le prochain front de lutte entre factions soutenant différentes figures politiques.

Même s’il parvient à surmonter la « bataille » à la Chambre des représentants, de nombreux défis restent à relever, notamment la manière dont sera répartie la répartition des postes de direction au sein du parti, alors que l’UMNO est la force qui détient le plus de sièges ?

Lors des élections d'il y a deux ans, la coalition PH, dont Bersatu faisait partie, est arrivée au pouvoir en partie grâce à la volonté des électeurs d'évincer les politiciens de l'UMNO, accusés de « corruption et d'autoritarisme ». M. Muhyiddin devra désormais placer des chefs de factions, dont l'UMNO, à des postes clés au sein du nouveau gouvernement, ce qui ne manquera pas de provoquer une vive réaction parmi les électeurs malaisiens et de donner lieu à des attaques de la part de ses opposants.

La durée de cette instabilité et de cette incertitude politiques, ainsi que l’ampleur de son impact négatif, dépendront peut-être du temps qu’il faudra au nouveau Premier ministre pour obtenir le soutien d’une majorité de membres du Parlement.

Vue de Kuala Lumpur, la capitale de la MalaisiePhoto : AFP

Du côté malaisien, nombreux sont ceux qui espèrent que le gouvernement se souciera de leurs intérêts et sortira le pays des difficultés économiques au lieu de laisser les partis politiques s'enfoncer dans des guerres de factions. Par ailleurs, la question économique constitue également un défi. M. Muhyiddin est arrivé au pouvoir dans un contexte d'instabilité politique qui a considérablement affecté la situation socio-économique du pays, en plus des difficultés causées par l'épidémie de Covid-19 et des répercussions de la récession économique mondiale de ces dernières années. Par conséquent, le maintien de la stabilité macroéconomique est considéré comme la priorité absolue du nouveau Premier ministre Muhyiddin et représente un défi majeur pour lui de gagner la confiance de la population.