Général de division Le Van Cuong : Identifier les relations entre le Vietnam et les États-Unis à travers la visite de Kamala Harris

Le ministre singapourien des Affaires étrangères a accueilli la vice-présidente américaine Kamala Harris à l'aéroport de Singapour, le 22 août. Photo : Reuters

PV:Général de division, à l'occasion de la visite du vice-président américain au Vietnam, pouvez-vous expliquer la nécessité pour les États-Unis et le Vietnam d'élargir leurs relations bilatérales malgré leurs différences de nature politique ?

Général de division Le Van Cuong :Il est vrai que, par essence, les systèmes politiques des États-Unis et du Vietnam sont radicalement opposés : l’un est une démocratie d’opposition multipartite, l’autre est d’orientation socialiste. Malgré cela, les deux camps partagent un point commun qui favorise leur coopération : leurs intérêts.

Pour rassembler leurs forces face à la Chine, les États-Unis considèrent le Vietnam comme un maillon essentiel. En particulier sur la question de la mer Orientale, outre la voix commune de l'ASEAN, les États-Unis considèrent le Vietnam comme la ligne de front. Dans la mise en œuvre de la stratégie indo-pacifique actuelle et de la stratégie pivot de l'ère Obama, trois administrations américaines consécutives ont considéré le Vietnam comme un pays important, doté de solides traditions et d'une force intérieure, capable de faire face aux défis extérieurs. Le principal avantage que les États-Unis voient au Vietnam réside dans la sécurité et la défense, et non dans l'économie. Ils doivent utiliser le Vietnam pour renforcer leurs relations avec l'ASEAN et avec des pays comme le Japon, l'Inde, l'Australie, etc. Par conséquent, malgré la persistance de certains problèmes, les intérêts politiques ont pris le pas sur tout.

Le Vietnam a également besoin des États-Unis, notamment sur le plan économique, car ce pays représente un marché de 330 millions d'habitants et un excédent commercial de près de 50 milliards de dollars. Par ailleurs, nous avons besoin des investissements directs étrangers (IDE) américains, pays qui possède des entreprises de haute technologie. En sciences et technologies, 50 % des inventions mondiales sont américaines, et ce pays forme les meilleures ressources humaines au monde. En politique étrangère, les États-Unis demeurent une superpuissance, un membre permanent du Conseil de sécurité et un acteur majeur sur la scène politique internationale. En matière de sécurité et de défense, la coopération reste nécessaire, dans l'intérêt des deux parties, et non contre un pays tiers. C'est pourquoi les deux parties doivent absolument promouvoir leurs relations, ce qui est la raison d'être de la visite du vice-président américain au Vietnam cette fois-ci.

Les relations bilatérales entre le Vietnam et les États-Unis se sont développées en profondeur et en ampleur ces derniers temps. Photo : Alec

PV:Selon vous, quel est l'objectif de Mme Kamala Harris lors de sa visite au Vietnam ? Quels sujets seront abordés et discutés entre les deux parties ?

Général de division Le Van Cuong :L'objectif principal est de renforcer les relations bilatérales entre le Vietnam et les États-Unis. Les États-Unis demanderont certainement au Vietnam de promouvoir son rôle actif et central au sein de l'ASEAN, contribuant ainsi à renforcer la solidarité et l'unité au sein du bloc, et empêchant l'ASEAN de tomber aux mains de la Chine. Les États-Unis espèrent, par l'intermédiaire du Vietnam, renforcer leurs relations avec l'ASEAN – leur objectif principal.

Le Vietnam est un facteur important dans les calculs stratégiques indo-pacifiques des États-Unis. Par conséquent, grâce à cette visite, les États-Unis doivent également identifier plus précisément le contexte actuel en Asie-Pacifique, les attitudes des pays de la région envers les États-Unis en particulier, envers les autres pays et la Chine en général.

Concernant les sujets abordés, les discussions porteront notamment sur les relations bilatérales et multilatérales. Les deux parties aborderont d'abord des questions économiques, notamment la gestion de l'excédent commercial du Vietnam avec les États-Unis. Mais je pense que cela n'est pas si important. Nous demandons également aux États-Unis d'accroître leurs investissements directs étrangers (IDE) au Vietnam et de continuer à faciliter l'entrée de marchandises vietnamiennes sur leur territoire. Par ailleurs, une coopération est en cours dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, en espérant que les États-Unis soutiendront et aideront le Vietnam en lui fournissant une partie des technologies de production et du vaccin.

Les États-Unis soutiendront également la formation des ressources humaines. D'un point de vue multilatéral, et plus particulièrement sur la question de la mer Orientale, les États-Unis continuent de s'engager à soutenir le Vietnam dans la protection de ses intérêts légitimes, en soutenant un dialogue pacifique fondé sur la CNUDM de 1982 et en s'opposant à toute action coercitive et à toute atteinte à la souveraineté des pays. La question des relations de l'ASEAN avec la Chine a également été évoquée, notamment l'examen de l'attitude des pays de l'ASEAN à l'égard de la stratégie indopacifique américaine.

PV:Comment prédisez-vous le résultat de la visite ?

Général de division Le Van Cuong :Certes, grâce à cette visite, les relations entre le Vietnam et les États-Unis seront renforcées dans de nombreux domaines, notamment l’économie, la science, la technologie, la formation des ressources humaines, la coopération internationale, la politique, la sécurité nationale et la défense... Il s’agit d’une étape importante démontrant que le partenariat global entre le Vietnam et les États-Unis s’est développé à la fois en profondeur et en ampleur.

Cette visite renforce le rôle et la position du Vietnam dans la région et dans le monde. Lorsqu'un vice-président d'une superpuissance se rend au Vietnam, l'opinion publique comprendra au moins que nous jouons un rôle particulièrement important dans la stratégie américaine. Les États-Unis en bénéficient également : le renforcement des relations avec le Vietnam constitue une étape importante de la stratégie indopacifique. Je pense que les deux parties en tireront de bons résultats.

La vice-présidente américaine Kamala Harris arrive à la base aérienne de Paya Lebar, à Singapour, le 22 août. Photo : AFP

PV:Outre le Vietnam, Singapour est également une étape pour le vice-président américain lors de sa visite. Selon vous, quel rôle joue Singapour dans le dispositif stratégique américain ?

Général de division Le Van Cuong :À tous égards, parmi les dix pays de l'ASEAN, les relations entre les États-Unis et Singapour sont les plus solides et les plus loyales des 60 dernières années. Sur le plan économique, Singapour accueille les plus importants investissements étrangers directs américains, et ses habitants sont conscients que leur développement est en partie dû à la coopération américaine. En matière de défense et de sécurité, les deux parties n'ont pas conclu d'accord, mais ont signé un protocole d'accord, aux termes duquel Singapour autorise l'accès de l'armée américaine à ses aéroports et ports et lui fournit un soutien logistique.

De plus, Singapour occupe une position particulièrement importante, avec près de 80 % de sa population chinoise. Singapour peut être considérée comme un pont entre les États-Unis et la Chine, un élément important de l'accord stratégique indo-pacifique, et un pont entre les États-Unis et l'ASEAN. Par conséquent, la visite des États-Unis à Singapour est une façon pour les États-Unis d'exprimer leur volonté de renforcer leurs relations traditionnelles et historiques, d'encourager Singapour à jouer un rôle plus actif au sein de l'ASEAN et de promouvoir le rôle central de l'ASEAN dans la région Asie-Pacifique, évitant ainsi qu'elle ne tombe aux mains de la Chine.

PV:Enfin, pouvez-vous expliquer pourquoi la visite du vice-président américain – une activité diplomatique normale – a reçu autant d’attention de la part de l’opinion publique mondiale ces derniers jours ?

Général de division Le Van Cuong :Il convient de noter que le Vietnam et Singapour font partie de l'ASEAN, lien essentiel entre les deux océans. La mise en œuvre de la stratégie américaine pour l'océan Pacifique et l'océan Indien ne peut donc se faire sans la participation de l'ASEAN. Par conséquent, la visite de Mme Harris dans ces deux pays, outre sa portée diplomatique habituelle, revêt également une importance géopolitique et géostratégique cachée dans les calculs stratégiques des États-Unis.

De nombreux pays sont donc particulièrement intéressés, car après ce voyage, l'évolution des relations entre le Vietnam et les États-Unis, ainsi qu'entre Singapour et les États-Unis, pourrait bouleverser toute la région. Souvenez-vous, en mars 2021, l'administration Biden a annoncé les orientations intérimaires de sa stratégie de sécurité nationale, soulignant l'importance de la coopération avec les pays asiatiques pour promouvoir des objectifs communs.

PV:Merci, Général !