Le Premier ministre turc a-t-il commis une grave erreur ?
(Baonghean) – Fin juillet, l’opinion publique au Moyen-Orient voyait le gouvernement turc coopérer activement avec les États-Unis pour ouvrir une base aérienne destinée à la coalition contre l’État islamique (EI). Début août, la situation a radicalement changé. La Turquie traverse une période sombre, marquée par une vague de violence et des attaques successives visant des sites hautement sécurisés, comme le consulat américain ou le commissariat central. La stratégie du Premier ministre turc est-elle en train de se tromper ?
Après une longue période d'hésitation, le ministère turc des Affaires étrangères a annoncé le 29 juillet avoir officiellement signé un accord avec les États-Unis autorisant la coalition militaire dirigée par Washington à utiliser la base aérienne d'Incirlik pour attaquer les militants du groupe autoproclamé État islamique (EI). Plusieurs raisons peuvent expliquer cette décision du Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan. Premièrement, les décisions de M. Erdoğan sont influencées par les résultats des élections législatives de juin dernier. En effet, le Parti de la justice et du développement (AKP), son parti, a perdu sa majorité pour la première fois en dix ans et négocie actuellement avec ses partenaires pour former un gouvernement. En attaquant l'EI conjointement avec les forces kurdes, M. Erdoğan espère atteindre son objectif : reconquérir la majorité des électeurs lors des prochaines élections cet automne. S'il obtient suffisamment de voix, M. Erdoğan aura les moyens de réaliser son ambition de réformer la Constitution et le système politique en vigueur en Turquie depuis de nombreuses années, concentrant ainsi le pouvoir entre les mains du président. Par ailleurs, M. Erdogan s'inquiète du renforcement des forces kurdes en Turquie (PKK) et de leur ambition persistante de créer un État indépendant. C'est pourquoi, ces derniers jours, bien que le gouvernement turc ait déclaré que sa priorité était la lutte contre Daech, il est apparu clairement qu'il privilégiait les frappes aériennes contre des cibles kurdes.
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| Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Photo : Internet |
Deuxièmement, les analystes estiment que la situation de guerre actuelle a contraint le Premier ministre Erdogan à réorienter sa politique étrangère au Moyen-Orient. Initialement, Ankara avait refusé de participer à la campagne anti-Daech menée par la coalition dirigée par les États-Unis, car le gouvernement turc était accusé depuis longtemps de soutenir les rebelles syriens – dont Daech – contre le régime du président Bachar el-Assad. Par conséquent, envoyer des troupes pour aider l'armée syrienne à combattre Daech reviendrait à se tirer une balle dans le dos, ce qui serait contraire à sa politique antérieure. Or, des attaques récentes, attribuées à Daech, se sont multipliées en Turquie. L'incident le plus grave a eu lieu le 20 juin, lorsqu'un attentat-suicide a fait 32 morts à Suruç, ville turque frontalière de la Syrie. Après une série d'incidents, le Premier ministre Erdogan, soupçonné d'être un simple pion dans la lutte antiterroriste menée par les États-Unis et l'Occident, semble avoir pris conscience de la gravité de la situation lorsque la sécurité nationale est directement menacée. De plus, le Premier ministre Erdogan lui-même comprend parfaitement que s'il veut renforcer la position et la voix de la Turquie dans la région, il lui sera difficile de « dire non » indéfiniment à l'alliance anti-EI.
Cependant, les calculs sont une chose, la réalité en est une autre. Juste après que le Premier ministre Erdogan a « ouvert la porte » à la coalition anti-Daech, mais en réalité contre le PKK, la Turquie a été frappée par une série d'attaques sanglantes. La plus récente est l'attaque contre le consulat américain à Istanbul et deux autres attaques qui ont coûté la vie à six membres des forces de sécurité. Plus inquiétant encore est l'émergence d'un groupe extrémiste interdit, le Front révolutionnaire populaire de libération turque, qui devrait mener des actions encore plus audacieuses. Ce groupe a également revendiqué l'attaque contre le consulat américain dans la banlieue d'Istanbul. De plus, le cessez-le-feu et les difficiles négociations de paix entre les forces kurdes et le gouvernement d'Ankara, qui durent depuis trois ans, risquent désormais de s'effondrer complètement. Ainsi, la situation intérieure déjà chaotique de la Turquie est devenue encore plus chaotique. En fait, les analystes reconnaissent depuis longtemps que la tentative du Premier ministre Erdogan de faire d'une pierre deux coups a en réalité l'effet inverse ! Et les conséquences ne seront certainement pas immédiates.
Non seulement la participation de la Turquie à la lutte contre Daech, motivée par ses propres intérêts, est contre-productive pour la sécurité intérieure, mais elle complique également la situation au Moyen-Orient. En effet, les frappes aériennes visant à détruire Daech ne constituent pas l'objectif principal de la Turquie ni de ses alliés américains. Pour la Turquie, l'obsession du Premier ministre Erdogan pour l'anéantissement des forces kurdes a indirectement entraîné un déclin des efforts anti-Daech au Moyen-Orient. Or, ces forces ont récemment apporté un soutien considérable aux États-Unis et à leur coalition pour détruire plusieurs points stratégiques de Daech, comme la ville syrienne de Kobané. Par ailleurs, compte tenu de l'évolution actuelle de la situation, le conflit syrien est d'autant plus difficile à résoudre, car toute issue à ce conflit est nécessairement liée à la question territoriale kurde. « Une erreur, et c'est la catastrophe » : c'est peut-être ainsi que le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, s'efforce actuellement de trouver la solution la plus raisonnable pour stabiliser la situation sécuritaire intérieure. Mais une solution possible, proposée par des observateurs, existe et elle est en réalité très simple. Autrement dit, la Turquie devrait combattre le terrorisme pour ce qu'il est réellement, ce qui serait bénéfique à Ankara, à la Syrie et à l'ensemble du Moyen-Orient.
Phuong Hoa



