Chérissez la vie
Préserver la vie, ce n'est pas seulement la préserver pour soi-même, mais aussi préserver la piété filiale, la bienveillance et la foi en la vie. Et surtout, il est nécessaire d'éveiller en chacun la gratitude envers la vie – un sentiment que tant de personnes malheureuses désirent encore ardemment à chaque instant.
Ces derniers temps, les nouvelles de personnes se jetant dans les rivières glacées se multiplient à un rythme effroyable. Chaque jour, en parcourant les réseaux sociaux, on tombe facilement sur de brèves annonces : « Un homme a sauté du pont X… », « Une jeune fille s’est jetée dans la rivière Y… ». Derrière ces mots se cachent les cris déchirants de ceux qui restent, l’enfant tremblant tenant un bâton d’encens et implorant le repos éternel de sa mère, la vieille mère s’évanouissant sur la rive, le mari contemplant l’eau glacée où il vient de perdre une partie de sa vie. La simple lecture de ces images suffit à nous briser le cœur.
Certains choisissent de partir à cause de la maladie, d'autres à cause des dettes, d'autres encore par amour, ou sous des pressions indicibles. Les raisons sont innombrables, mais le point commun est sans doute le désespoir qui les saisit lorsqu'ils comprennent que la mort est leur seule issue. Se jeter à l'eau semble être une libération, mais c'est le début d'une souffrance sans fin pour ceux qui restent.

Le fait que de plus en plus de gens se tournent vers la mort comme dernier recours nous amène à nous interroger : qu’est-ce qui a conduit les humains à perdre leur instinct le plus précieux, l’instinct de survie ? Pourquoi la vie, ce qu’il y a de plus sacré, est-elle traitée avec tant de légèreté ?
Au cours de mon parcours de journaliste, je me suis rendue à l'hôpital à maintes reprises pour rencontrer médecins, infirmières et patients, et écouter d'innombrables récits de vie. Il y a ces femmes atteintes d'un cancer qui, même en sachant qu'il ne leur reste que quelques mois à vivre, s'efforcent de sourire et d'avaler une dernière cuillerée de porridge, juste pour prolonger leur existence, pour revoir et serrer leurs enfants une dernière fois dans leurs bras. Il y a ces enfants au crâne chauve à cause de la chimiothérapie, le regard innocent mais d'une force bouleversante. Ils ne savent pas ce qu'est la mort, ils savent seulement qu'ils veulent guérir pour pouvoir aller à l'école et rentrer à la maison. Là, on perçoit une incroyable soif de vivre. Chaque respiration, chaque minute est un bonheur immense.
Je suis aussi allée dans les villages des hauts plateaux, où le froid est mordant, où les enfants vont encore à l'école pieds nus, le ventre vide mais les yeux pétillants. Ils manquent peut-être de beaucoup de choses, mais je les vois rarement se plaindre de leur sort. Dans ces yeux sombres et vifs se lit le désir d'apprendre, de grandir, de vivre une vie meilleure. C'est dans les endroits les plus difficiles que les gens chérissent le plus la vie.
Dans cette ville trépidante, au milieu des lumières éclatantes et de l'abondance de nourriture, les traumatismes psychologiques sont fréquents. Plus on vit confortablement, plus on est fragile émotionnellement, vulnérable à la solitude, à quelques mots blessants sur internet, à des échecs passagers au travail ou en amour. Est-ce là le drame d'un peuple qui perd sa capacité à endurer, une qualité pourtant considérée comme propre aux Vietnamiens depuis des générations ?
Depuis l'Antiquité, dans la culture orientale, la vie a toujours été considérée comme l'essence même de l'existence. On peut endurer la faim, le froid et la souffrance, mais il est inconcevable de négliger sa propre vie et celle d'autrui. Car la vie est un don des parents, un fruit de la création, un bien sacré que chacun ne reçoit qu'une seule fois.
Les Vietnamiens enseignent souvent à leurs enfants que :« Tant qu'il y aura des gens, il y aura des biens. »,«Préservez votre corps et travaillez.»Cet enseignement simple recèle une profonde philosophie de vie : toute douleur, toute perte et tout échec peuvent être surmontés tant que nous sommes en vie. Se donner la mort n’est pas seulement un acte insensé, mais aussi un péché – un péché d’impiété filiale. Car lorsqu’une personne disparaît, les parents perdent leurs enfants, les enfants perdent leurs parents, les proches perdent leurs êtres chers, et la vie perd son sens sacré.
Dans les croyances populaires, la mort n'a jamais été une libération. Les anciens croyaient que les âmes des morts injustement décédés ne pouvaient être libérées et que les vivants porteraient le fardeau de la douleur et du tourment jusqu'à la fin de leurs jours. C'est pourquoi, dans toutes les cultures, la vie est toujours honorée.

Aujourd’hui, dans un monde turbulent, les gens sont constamment sous pression : gagner leur vie, étudier, travailler, entretenir des relations, entretenir des réseaux sociaux… Nous courons après le temps, nous nous comparons aux autres et oublions souvent l’essentiel d’une vie heureuse : respirer, vivre, être soi-même.
Des jeunes se suicident parce qu'ils ont échoué à l'examen d'entrée à l'université, à cause d'un chagrin d'amour, de pertes, ou encore parce qu'ils ont été victimes de cyberharcèlement… À un âge où ils devraient apprendre à se débrouiller seuls, ils choisissent de baisser les bras. Il ne s'agit pas seulement d'une tragédie personnelle, mais aussi d'un avertissement concernant une génération qui manque cruellement de compétences de vie, d'éducation émotionnelle et de soutien spirituel.
Nous avons beaucoup parlé d'économie et de technologie, mais nous avons oublié que le fondement de tout développement est la culture, la manière dont les gens se comportent face à la vie, à la souffrance, envers eux-mêmes. Lorsqu'une société méprise la vie, lorsque les suicides font la une des journaux, lorsque la mort est discutée comme un simple phénomène, alors la culture s'érode.
Préserver la vie, ce n'est pas seulement la préserver pour soi-même, mais aussi préserver la piété filiale, la bienveillance et la foi en la vie. Nous devons apprendre à dialoguer avec la douleur, au lieu de la fuir. Nous devons enseigner aux enfants que l'échec n'est pas une fin en soi ; nous devons faire comprendre aux plus vulnérables qu'ils ne sont pas seuls, qu'il y a toujours des bras prêts à les accueillir. Et surtout, nous devons éveiller en chacun la gratitude pour la vie – une gratitude que tant de personnes, dans le malheur, désirent encore ardemment à chaque instant.
Réfléchissez bien : le plus grand péché dans la vie d’un être humain n’est pas d’être un fils prodigue, un fils débauché ou de s’égarer, mais d’ôter la vie à autrui et la sienne propre. Oser vivre, ne serait-ce qu’un jour de plus, est déjà une victoire. Et lorsque nous savons chérir la vie, nous pouvons véritablement traverser les ténèbres et retrouver notre humanité.


