Construire des robots humanoïdes : la course des nations au XXIe siècle

La course à l'espace, compétition épique entre les États-Unis et l'Union soviétique, symbolisait la quête de la domination scientifique et la bataille pour la suprématie géopolitique au XXe siècle.

Elle évoque des images mythiques de fusées intercontinentales fendant le ciel, de créatures lancées en orbite terrestre et de la marche historique de l'astronaute Neil Armstrong sur la Lune.

Un incident s'est produit début mars impliquant un robot humanoïde masculin nommé Muhammad, produit par le Royaume d'Arabie saoudite, qui a eu un comportement inapproprié lors de sa cérémonie de lancement envers une journaliste qui animait l'émission.

Alors que la journaliste de la chaîne Al Arabiya tournait le dos au robot Muhammad pour faire face à la caméra, ce dernier a soudainement tendu le bras et lui a touché les fesses. Le robot Muhammad a ensuite rapidement baissé le bras, comme pour dissimuler son geste.

L'action soudaine du robot Muhammad a surpris la journaliste, qui s'est retournée pour regarder, mais elle est restée calme pour poursuivre son travail.

Mais cet incident a involontairement mis les efforts de l'Arabie saoudite en matière de robotique sous les feux de la rampe internationale, soulignant comment les pays du monde entier se livrent une course effrénée pour réaliser de nouveaux progrès dans le développement de robots humanoïdes fonctionnels.

Les robots humanoïdes sont perçus comme des symboles visuels des avancées majeures dans le domaine de l'IA.

En Italie, l'Institut italien de technologie (Istituto Italiano di Tecnologia) travaille sur l'iCub, un robot humanoïde destiné à la recherche.

Leur objectif principal est épistémologique : étudier si l'apprentissage automatique et l'IA ont besoin d'un corps physique pour développer une compréhension globale du monde, a déclaré Giorgio Metta, directeur scientifique de l'Institut italien de technologie.

Toutefois, M. Metta a également reconnu que la concurrence mondiale est de plus en plus féroce pour démontrer sa capacité d'innovation, notamment à mesure que la valeur économique de l'IA augmente.

Les robots humanoïdes sont particulièrement efficaces pour démontrer les progrès, affirme-t-il, car ils offrent une image visuelle et facile à comprendre des avancées technologiques.

« Il est facile de démontrer la qualité de sa technologie, car elle est visible et ne nécessite pas de longues explications. Si vous exécutez un programme sur un ordinateur et obtenez une réponse, aussi impressionnante soit-elle, elle n’est pas aussi intuitive que celle d’un robot », explique Giorgio Metta.

Bien qu'une grande partie de leurs recherches soient menées en collaboration, notamment avec d'autres partenaires de l'Union européenne, Metta a déclaré qu'on lui avait conseillé d'être prudent quant à une collaboration avec un acteur mondial majeur de la robotique humanoïde, la Chine.

Il est regrettable, a-t-il ajouté, que l'on demande aux scientifiques de prendre en compte des considérations géopolitiques dans leurs recherches.

La Chine veut prendre la tête dans le domaine des robots humanoïdes.

En matière de robots humanoïdes, la Chine est en passe de devenir la référence, il n'est donc pas étonnant que d'autres pays commencent à s'inquiéter.

La Chine prévoit de produire en masse des robots humanoïdes avancés d'ici 2025, selon un document publié en octobre dernier par le ministère chinois de l'Industrie et des Technologies de l'information.

Fourier Intelligence, une start-up basée à Shanghai qui développe et fabrique des robots humanoïdes, a déclaré qu'elle prévoyait de livrer environ 1 000 robots humanoïdes cette année.

« La Chine est un concurrent redoutable dans la course à la domination du marché des robots humanoïdes », a déclaré Zen Koh, PDG de Fourier Intelligence.

M. Koh a expliqué que de nombreux facteurs ont contribué à la position prépondérante de la Chine, notamment des investissements importants dans la recherche et le développement, en particulier dans l'IA et la robotique, ce qui, selon lui, a donné à la Chine un avantage certain.

« Ce vaste marché offre des opportunités sans précédent pour tester, améliorer et étendre l’utilisation des robots humanoïdes. Cela peut faciliter des mises à jour et des améliorations rapides et fréquentes, conférant ainsi aux entreprises chinoises un avantage concurrentiel », a déclaré M. Koh.

L'Amérique souhaite également dominer dans ce domaine.

Pour rivaliser avec les ambitions de la Chine, la start-up américaine Agility Robotics, qui développe et fabrique des robots humanoïdes, a annoncé qu'elle produirait des centaines de ses robots Digit d'ici 2025. L'entreprise construit actuellement une usine dans l'Oregon, dont l'ouverture est prévue plus tard cette année.

« Nous produirons des centaines de robots humanoïdes d'ici 2025, puis nous augmenterons progressivement notre production pour atteindre des milliers de robots humanoïdes dans les années à venir », a déclaré Peggy Johnson, PDG d'Agility Robotics.

Peggy Johnson a déclaré que son entreprise est bien placée pour attirer des clients et accélérer sa production, et qu'elle se félicite de la concurrence. Le géant du commerce électronique Amazon teste actuellement les robots d'Agility Robotics dans ses entrepôts afin d'automatiser certaines tâches.

Outre la start-up Agility Robotics, plusieurs autres acteurs clés aux États-Unis font également preuve de leur influence dans la course à la production de robots humanoïdes.

Par exemple, Figure AI, une entreprise valorisée à 2,6 milliards de dollars, a récemment signé un accord avec la start-up spécialisée en intelligence artificielle OpenAI pour développer des modèles d'IA de nouvelle génération destinés à ses robots. L'entreprise a également conclu un accord avec le constructeur automobile BMW afin de tester ses robots dans son processus de fabrication.

Parallèlement, la société texane Apptronik a également signé un partenariat avec le constructeur automobile Mercedes afin de tester comment son robot Apollo peut assister les chaînes de montage.

Tesla, la société de voitures électriques du milliardaire Elon Musk, nourrit également des ambitions en matière de robots humanoïdes et a annoncé son intention de commencer à vendre le robot humanoïde Optimus d'ici 2027.

L'importance des hautes technologies dans le contexte géopolitique actuel

Le développement et l'utilisation des hautes technologies, notamment des robots humanoïdes et de l'intelligence artificielle, sont considérés comme des facteurs déterminants de la puissance et de la sécurité nationale des pays. Par conséquent, les compétitions dans ce domaine sont jugées extrêmement importantes et ont un impact considérable sur les pays participants.

Dans le contexte géopolitique actuel, Julian Mueller-Kaler, directeur du Centre de prospective stratégique du Stimson Center (États-Unis), une organisation à but non lucratif, a déclaré que les hautes technologies telles que les robots humanoïdes et l'IA représentent le summum du développement technologique et agissent comme des symboles de puissance.

« Les États-Unis définissent la sécurité nationale à travers le prisme de la domination, non seulement militaire et politique, mais aussi économique et technologique », a déclaré Julian Mueller-Kaler.

Les États-Unis investissent stratégiquement dans ces technologies de pointe dans le cadre de leurs efforts pour prendre l'avantage, tout en utilisant d'autres mesures pour contrer le développement de la Chine dans ce domaine.

Ces dernières années, les États-Unis ont mis en place des contrôles sur les exportations de semi-conducteurs vers la Chine afin de limiter les capacités de haute technologie du pays.

Cependant, M. Julian Mueller-Kaler a affirmé que la Chine avait surmonté cette difficulté. Les sanctions américaines ont fortement stimulé l'industrie chinoise des semi-conducteurs, la plupart des entreprises de puces à la croissance la plus rapide au monde étant désormais chinoises.

Les robots humanoïdes représentent l'apogée d'un nouveau « cycle de surmédiatisation ».

En août dernier, Pékin a annoncé la création d'un fonds de 1,39 milliard de dollars destiné au développement de robots humanoïdes. À l'époque, la capitale abritait déjà une centaine d'entreprises de recherche et de fabrication de robots.

Cependant, Li Boyang, président d'EX Robots, une entreprise de robots humanoïdes basée dans la province chinoise du Liaoning, a déclaré que la Chine était confrontée à des défis pour faire passer les robots du laboratoire à la production de masse.

Partageant l'avis de M. Li Boyang, un représentant de Boston Dynamics (USA), une entreprise spécialisée dans la recherche et la production de robots, a également déclaré que le déploiement à grande échelle de robots humanoïdes constituait un défi extrêmement important.

Malgré certains obstacles à l'adoption généralisée de cette technologie, ses avantages potentiels sont considérables. Will Jackson, PDG d'Engineered Arts, entreprise britannique spécialisée dans la conception et la fabrication de robots humanoïdes, a déclaré que la production en série de ces robots pourrait accroître la puissance d'une nation en augmentant sa main-d'œuvre et sa population.

« Si vous pouvez produire en masse des robots humanoïdes, vous créez des citoyens numériques. Ils ne se plaignent pas, ils ne font pas grève, ils ne réclament pas les droits des travailleurs », a ajouté Will Jackson.

Cependant, M. Jackson a également averti que nous sommes au sommet du « cycle de surmédiatisation », avec une profusion de discours sur les possibilités offertes par cette technologie. Selon le cabinet de recherche et de conseil Gartner, le cycle de surmédiatisation est un modèle graphique qui décrit le cycle de vie des technologies émergentes. Il illustre le niveau d'intérêt et d'adoption de ces technologies au fil du temps.

Le secteur de la robotique humanoïde devrait bénéficier du nouveau projet GR00T annoncé par la multinationale américaine Nvidia. Ce projet, une plateforme logicielle développée par Nvidia, vise à faciliter le développement et l'utilisation des robots humanoïdes. Son objectif est de créer une plateforme commune permettant aux développeurs de concevoir aisément des robots humanoïdes capables d'apprendre, de s'adapter et de se déplacer avec aisance dans le monde réel.

Ainsi, la création de robots humanoïdes représente non seulement un défi technique, mais aussi une course effrénée entre les pays pour obtenir un avantage concurrentiel dans l'économie mondiale. Des pays de premier plan comme les États-Unis, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et l'Allemagne investissent massivement dans la recherche et le développement de robots humanoïdes, avec pour objectif de créer les machines les plus performantes, intelligentes et polyvalentes.

Cette course est non seulement économiquement avantageuse, mais elle contribue également à promouvoir l'innovation technologique et à résoudre des problèmes sociaux urgents. Les robots humanoïdes présentent un grand potentiel pour assister les personnes âgées, les personnes handicapées et celles travaillant dans des environnements dangereux. Ils peuvent également être utilisés pour effectuer des tâches complexes et fastidieuses, libérant ainsi la main-d'œuvre humaine pour qu'elle se concentre sur des activités plus créatives et à plus forte valeur ajoutée.