Les limites de l'admiration
Admirer quelqu'un n'est pas mal en soi, mais il faut savoir se fixer des limites : celles du bon sens. Défendre aveuglément une personne revient à brouiller involontairement les frontières de la loi, transformant la justice en une notion négociable par la « bienveillance ».
Ces derniers jours, les réseaux sociaux ont été en ébullition suite à l'annonce de poursuites et d'enquêtes visant plusieurs personnalités pour des soupçons d'infractions à la loi. Une femme d'affaires, autrefois connue pour ses importants voyages humanitaires et son soutien aux populations sinistrées, est désormais poursuivie pour de graves irrégularités comptables et une fraude fiscale portant sur des milliards de dongs. Une influenceuse, connue pour partager son quotidien glamour et ses actions caritatives, est quant à elle accusée de produire et de commercialiser de faux produits alimentaires, notamment des produits minceur contenant des substances interdites et dangereuses pour la santé. Dès l'annonce de ces révélations, les réseaux sociaux se sont enflammés : certains ont exprimé leur sympathie, d'autres leur défense, certains se sont réjouis, d'autres encore ont condamné.
La réaction de la foule illustre une réalité : nous vivons à une époque où les émotions peuvent l'emporter sur la raison, et où l'admiration peut parfois constituer une frontière ténue entre l'amour et l'aveuglement.

Sur les réseaux sociaux, une vidéo touchante, un mot gentil ou un acte de générosité peuvent transformer une personne en « idole ». Elle est honorée, encensée et digne de confiance. C’est un phénomène bien connu de la psychologie des foules, l’effet de halo, où les belles actions caritatives masquent tous les défauts.
Nous nous laissons facilement emporter par les images glamour : diffusions en direct de dons, camions transportant des vivres, ou partages chaleureux sur la vie. À ce moment-là, l’admiration n’est plus pure, mais devient une carapace protectrice, nous amenant à ignorer les faits objectifs. Et puis, lorsque ces personnes se retrouvent prises dans l’engrenage judiciaire, cette confiance est brisée, ne laissant place qu’à deux extrêmes : la défense acharnée ou le reniement total.
Les foules ont la mémoire courte mais les émotions fortes. Quand on aime, on a tendance à idéaliser autrui, à projeter une image parfaite ; et quand on est déçu, on a tendance à devenir extrême, à renier toutes les valeurs auxquelles on était attaché. De telles réactions nous épuisent et portent atteinte aux valeurs fondamentales de la société : la justice, la raison et la droiture.

Admirer quelqu'un n'est pas mal en soi, mais cette admiration doit avoir ses limites – celles de la lucidité. Lorsque nous défendons aveuglément, nous brouillons involontairement les frontières légales, transformant la justice en une notion négociable par la « bienveillance ». De tels cas nous rappellent que la véritable charité mérite le respect, mais ne saurait justifier les actes répréhensibles. La confiance doit reposer sur des valeurs solides, sur le système judiciaire, et non sur des individus aux comportements imprévisibles. La justice est le fondement de la confiance dans la société ; elle garantit que les contributions réelles soient reconnues et que les erreurs soient corrigées.
L'admiration est naturelle ; elle reflète le besoin de croire, d'aimer, de trouver de bons modèles dans la vie. Mais admirer ne signifie pas être aveugle. On peut admirer quelqu'un qui a accompli de bonnes actions sans pour autant nier ses erreurs, s'il y en a ; de même, on peut compatir à ses erreurs sans pour autant substituer l'amour au jugement de la loi. Aimer quelqu'un ne signifie pas s'opposer à la justice. Car si la justice n'est pas respectée, même les personnes honnêtes perdront le soutien nécessaire pour croire en ce qui est juste.

Imaginez un instant : si nous continuons à admirer aveuglément, qu'adviendra-t-il de la société ? Des consommateurs, faisant confiance aux vendeurs et achetant des produits uniquement pour leur « gentillesse », se retrouveront avec des articles de piètre qualité ; les actions caritatives sincères seront suspectées, car mêlées à des intérêts personnels. C'est une perte de confiance pour toute la communauté. Nous ne devons pas rejeter la gentillesse, mais l'admirer avec discernement. Faire confiance à bon escient nous aidera à bâtir une société plus juste, où la justice n'est pas influencée par les émotions.
Il est essentiel de comprendre que la loi ne prend parti que pour la vérité. Maintenir des limites à l'admiration, c'est préserver la santé mentale de la communauté. Lorsqu'une figure emblématique s'effondre, au lieu de juger ou de dissimuler, voyons-y un rappel que nul n'est parfait et que l'important n'est pas de blâmer, mais d'amener chacun à la réflexion. Une société bienveillante est une bonne chose, mais une société qui aime dans le cadre de la raison est une société durable.


