Les mensonges n'ont pas besoin d'être corrigés
(Baonghean) - Alors que le colonel Thuy attendait l'heure de départ du train S1, tel un voyageur solitaire et isolé, dans la villa à deux façades valant des milliards, où se trouvait la clinique du Dr Van Binh, la voix aigre et rauque d'une femme se fit entendre : « Demain, vous devez aller dans sa ville natale ! Dites-le franchement ! L'extraction d'une dent coûte deux cent mille dollars. Six dents, multipliez-les. Fabriquer des prothèses dentaires coûte un million chacune. Lui accorder une réduction pour l'extraction ! Exactement six millions ! Dans cette économie de marché, mais la subvention est toujours présente dans son esprit ! Pourquoi ne pas essayer d'apporter votre carte d'assurance maladie à l'hôpital pour obtenir des prothèses dentaires ? C'est encore la saison des mandarines ! » Bien qu'il soit d'accord avec sa femme, le Dr Van Binh a également eu le sentiment qu'elle avait parlé durement. Il dit calmement : « Je lui ai déjà parlé précisément du coût des plombages, des prothèses dentaires en plastique, des couronnes en platine… Vous ne le voyez pas abasourdi ? Et il n'est pas certain qu'il aura assez d'argent tout de suite. La pension d'un colonel ne s'élève qu'à quelques millions, au mieux. Outre la nourriture et les boissons, il y a aussi les médicaments quand il est malade… » Sa femme, toujours d'une voix stridente : « Peu importe ! Cette vie doit être juste ! Personne ne souffrira pour personne ! »
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Illustration : Nam Phong |
Le lendemain matin, le mari a dû partir. Il s'est rendu dans la ville natale du colonel Thuy. Et aussi dans sa ville natale.
Binh se rendit directement chez le colonel Thuy. Le portail n'était pas fermé, mais la porte était verrouillée. La nièce du cadet était occupée aux champs. Quant à M. Thuy, il partit vers le Sud sans lui dire quand il reviendrait. C'est ce que lui avait dit le voisin. Binh ne prit pas la peine de visiter les villes natales de ses parents. Il retourna précipitamment en ville, déçu, incertain et… effrayé !
La femme salua son mari d'un ton réprimandé : « Je te l'avais dit ! On t'a escroqué ? Tu n'avais pas assez d'argent, alors tu as essayé de t'enfuir, n'est-ce pas ? Pas étonnant que tu portais un si gros sac à dos en arrivant ici ce jour-là… »
***
Le train S1 était assez rapide. Bien plus rapide qu'à l'époque des marches vers le Sud dans les années 60. Cependant, il lui fallut presque un jour et une nuit pour atteindre la ville de Tuy Hoa. M. Thuy ne ferma pas l'œil. Car chaque lieu était associé à ses souvenirs. S'il ne s'agissait pas d'un lieu où il avait combattu, c'était un lieu historique dans ses livres d'enfance. La personne qui vint le chercher à la gare de Tuy Hoa était le fils d'un camarade de guerre contre les Français, à peu près du même âge que le Dr Binh. Il s'appelait Dinh Nui, originaire de Krong Pa, où la féroce bataille pour l'attaque du fort eut lieu des années auparavant. Son père, chef d'escouade à l'époque, mourut sur le coup lorsque les explosifs explosèrent contre le premier bunker. Quant à M. Thai, le père du Dr Binh, il fut grièvement blessé et rendit son dernier soupir dans le village d'Amar, en route vers le poste médical avancé. Heureusement, le doyen du village, Amar, qui participa à l'enterrement de M. Thai ce jour-là, était encore en vie. À plus de quatre-vingt-dix ans, il se souvenait encore de chaque arbre et de chaque pierre. Il racontait que, lorsqu'il y avait une politique de concentration des tombes au cimetière des martyrs du district, il n'en avait informé personne. Il croyait que M. Thuy viendrait ramener ses camarades dans leur ville natale. Chaque année, à l'anniversaire de la mort de M. Thai, selon la coutume Kinh, il trouvait encore secrètement de l'encens et des fleurs pour les déposer sur sa tombe…
Tandis que la femme de la clinique débitait des paroles dignes de ceux qui sont accros à l'argent, M. Thuy examinait chaque os du père du Dr Binh. Il déposa délicatement les restes du commissaire politique de l'entreprise sur un tissu rouge, face à la forêt vierge vert foncé. Il alluma trois bâtons d'encens et murmura à son camarade qui vivait dans un autre monde : « Frère Thai ! Demain, juste demain, tes amis te ramèneront sur la terre natale de ton père, ta terre ancestrale. Dans quelques jours, tu pourras te réunir avec tes camarades et te reposer auprès de ta femme. Binh et sa femme doivent être très heureux ! Les enfants ont grandi, perpétuant toujours la tradition familiale de leurs ancêtres. Et accomplissant le travail si humain de soigner et de sauver des vies, fidèle à tes vœux… » Sachant qu'il avait de nouveau menti à son ami, son visage s'empourpra.
M. Thuy ramena son ami directement dans sa ville natale, sans s'arrêter chez le dentiste. Craignant la méfiance des vivants, il n'appela pas le Dr Binh. Il préféra écrire une lettre. Si le destinataire l'appréciait, il pouvait la lire. Sinon, il ne le pouvait pas. La lettre n'était pas longue, mais elle contenait amplement ce qu'il souhaitait écrire. Pour susciter immédiatement la sympathie du lecteur, il précisa d'abord qu'il avait prévu suffisamment d'argent pour les soins dentaires. Le jour de sa visite, il avait déjà emporté plus de vingt millions, l'argent qu'il avait économisé pendant de nombreuses années. Il pensait que cela suffirait à couvrir le coût du dentier, mais il craignait de manquer d'argent pour le billet de train pour retrouver ses camarades. Il voulut inviter le Dr Binh à l'accompagner, mais… le résultat ne fut pas celui escompté. Il ajouta que, malgré son emploi du temps chargé, le Dr Binh devait revenir assister à la cérémonie commémorative de son père. Il voulait aussi profiter de l'occasion pour recevoir la tombe, afin de savoir plus tard où brûler de l'encens.
***
Le docteur Binh a reçu la lettre de M. Thuy alors que la clinique dentaire était calme. Sa femme était partie… Ce n'était pas seulement parce qu'il n'avait pas reçu les six millions de M. Thuy. C'était l'une des raisons de la rupture.
Après la cérémonie commémorative de M. Thai, le Dr Binh eut l'occasion de discuter longuement avec Dinh Nui. Il apprit que Dinh Nui était également son collègue. Il fut surpris d'apprendre qu'en plus de l'allocation familiale du martyr, Dinh Nui recevait chaque mois une somme supplémentaire de M. Thuy et des anciens camarades de son père. Binh recevait lui aussi une somme similaire. Grâce à cela, il put terminer ses six années de médecine. M. Thuy mentit en prétendant qu'il s'agissait d'une allocation distincte provenant d'une autre source. Et voilà ! Il interrogea Dinh Nui et se demanda : « Est-ce vrai ? Pourquoi me l'a-t-il caché ? Combien de personnes, dans cette vie, rendent service sans s'en attribuer le mérite ? » Dinh Nui ne répondit pas… C'était maintenant au tour du Dr Binh de devenir somnambule…
M. Thuy sentit son cœur se réchauffer à nouveau. Car désormais, il avait un enfant. Le docteur Binh le reconnaissait comme son père. Il le reconnaissait sincèrement, sans calcul ni mesure. C'était trop tard. Mais mieux vaut tard que jamais !
Un an plus tard, M. Thuy entra dans le monde éternel. Il s'éteignit paisiblement et silencieusement. La photo en noir et blanc des deux officiers ensemble dans la forêt des Hauts Plateaux centraux, jaunie après près d'un demi-siècle, est aujourd'hui placée sur l'autel, au troisième étage de la villa abritant la clinique dentaire. M. Thuy s'était fait poser son dentier ici, tel un patient étrange.
Tôt ou tard, il y aura des voix de femmes, mais il n'y aura plus de phrases comme « Chaque dent coûte un million », « La promotion de l'extraction dentaire coûte deux cent mille »... ?!
Dan Hoa
Hanoï