Messages cachés adressés à la Chine après la rencontre Abe-Poutine
(Baonghean) - La visite du Premier ministre japonais Shinzo Abe en Russie et sa rencontre avec le président Poutine à Sotchi ont envoyé un message caché à la Chine selon lequel son allié est toujours capable de coopérer avec le Japon, conformément à la tendance mondiale actuelle.
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Le président russe accueille le Premier ministre japonais à Sotchi, le 6 mai. Photo : AFP. |
Après l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, les États-Unis ont appelé leurs alliés européens et le Japon à imposer un embargo sur le pays. Par conséquent, lorsqu'ils traitent avec la Russie ou le président Poutine, ces pays sont très prudents et scrutent la réaction des États-Unis pour éviter d'offenser leurs alliés.
Le Japon ne fait pas exception. Face à la montée en puissance de la Chine, le pays aux fleurs de cerisier doit s'appuyer sur le parapluie nucléaire américain pour protéger sa sécurité nationale.
Dans le contexte de la confrontation russo-américaine, à l'approche du sommet des 7 pays industrialisés (G7) qui se tiendra à Hiroshima, au Japon, à la fin de ce mois, la décision de M. Abe de rencontrer M. Poutine est évidemment devenue un sujet de discussion dans le monde.
Cet événement aura-t-il une incidence sur les relations américano-japonaises ? Il convient de noter qu’au cours de ses trois années au pouvoir, le Premier ministre japonais a rencontré le président russe plus souvent que le président américain, ce qui montre que l’établissement de relations avec Moscou est un enjeu crucial pour Tokyo. Le Japon ne devrait pas « abandonner » ses relations avec la Russie en raison de son alliance avec les États-Unis, car les puissances les plus avisées diversifieront leurs relations dans le contexte actuel d’interdépendance internationale.
Bien sûr, la visite de M. Abe à M. Poutine le 6 mai a suscité le mécontentement des États-Unis. Cependant, ils ont réagi avec une grande prudence, et les États-Unis ont même publiquement soutenu ce voyage. Cependant, les États-Unis savent aussi que la relation nippo-russe a ses limites. Malgré de nombreuses rencontres avec Poutine, leurs relations bilatérales restent marquées par de nombreux désaccords difficiles à résoudre. L'anticipation des difficultés que le Japon rencontrera dans ses relations avec la Russie a quelque peu rassuré les États-Unis.
D'autre part, l'amélioration des relations entre le Japon et la Russie profite également aux États-Unis, car elle aura un impact caché sur la Chine, rompant l'alliance de Moscou avec Pékin, et permettra au Japon d'envoyer un message clair : il est non seulement un allié des États-Unis, mais considère également la Russie comme un ami. Cette situation oblige la Chine à reconsidérer ses actions en mer de Chine méridionale en particulier et dans la région Asie-Pacifique en général.
Lors de son récent voyage, M. Abe a certes informé des pays européens comme l'Allemagne et la France du contenu des discussions avec la Russie à Sotchi. Cependant, il est clair que M. Abe est toujours conscient que le différend territorial est un sujet difficile à résoudre lors de cette réunion.
En ce qui concerne l'économie, le Japon et la Russie ont un large espace de coopération dans le gaz, le gaz liquéfié, la finance, la technologie, etc. Et qui sait, l'ordre du jour entre les deux dirigeants pourrait mentionner la possibilité de coopération et de sécurité, bien que non mentionné, ce scénario inquiète également la Chine.
Au cours de ce voyage, le Japon a également demandé à la Russie de réduire le transfert d’armes et d’équipements modernes vers la Chine, car cela ferait pencher la balance militaire en Asie du Nord-Est, causant des désavantages à Tokyo et à d’autres pays.
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La Russie et le Japon ont encore une grande marge de coopération économique, notamment dans le secteur gazier. Photo : Internet. |
L'opinion publique s'est également interrogée sur la véritable raison de l'accueil enthousiaste réservé par la Russie au Premier ministre japonais. Ces deux dernières années, l'embargo a eu un impact considérable sur l'économie russe. Aujourd'hui, la visite de l'allié des États-Unis, troisième économie mondiale, en Russie, montre que la Russie n'est pas seule.
En ouvrant la voie à une coopération avec Tokyo, M. Poutine entend transmettre un message politique et diplomatique clair : la Russie ne peut être isolée. Deuxièmement, la Russie a besoin de capitaux et de technologies pour soutenir son développement économique et réveiller son potentiel latent. Le Japon est un pays qui a toutes les conditions pour soutenir la Russie et l'aider à diversifier ses partenaires afin d'exploiter l'Extrême-Orient. De toute évidence, M. Poutine souhaite collaborer avec le Japon pour réduire la pression et la dépendance à l'égard de son allié chinois, tant sur le plan économique que sécuritaire.
De son côté, la Chine est très avisée et secrète. Certains sites d'information officiels chinois se sont contentés de rapporter la visite du Japon en Russie, comme à l'accoutumée. Or, force est de constater que Pékin ne souhaite pas que Moscou s'allie à Tokyo, car cela réduirait sa pression sur la Russie et le Japon.
Concernant l'évolution des relations russo-japonaises à venir, comme indiqué précédemment, sur le plan économique, la Russie a besoin du Japon, et inversement, le Japon affirme ouvertement avoir besoin de la Russie. Sur le plan politique, un différend persiste concernant les Kouriles du Nord et du Sud. Cependant, le problème implicite réside dans le fait que, face à la puissance actuelle de la Chine, le Japon et les États-Unis éprouvent des inquiétudes quant à l'étroite relation entre Pékin et Moscou. L'approfondissement des relations russo-japonaises sert donc les intérêts des deux parties.
On peut prédire qu'à l'avenir, les deux parties continueront de développer leurs relations sur les plans politique, économique et sécuritaire. Les différends territoriaux et l'alliance américano-japonaise continueront de freiner l'évolution rapide des relations nippo-russes, mais la tendance générale est à l'ouverture et à l'évolution positive de ces relations.
Professeur associé, docteur, général de division Le Van Cuong
Ancien directeur de l'Institut de stratégie et de science, ministère de la Sécurité publique