« Nouvelle Syrie » et le test diplomatique à Washington
La première visite officielle du président syrien Ahmad al-Charia aux États-Unis marque un tournant historique dans les relations entre deux pays en conflit depuis des décennies. Cet événement témoigne non seulement des efforts de Damas pour renouer avec la scène internationale, mais constitue également un test important pour la politique étrangère d’une « nouvelle Syrie », un pays qui cherche à redéfinir sa position et à redorer son image après plus d’une décennie de guerre.
tournant historique
Le président syrien Ahmed al-Charia est arrivé aux États-Unis le 9 novembre pour une visite officielle historique, au lendemain de sa radiation officielle de la liste noire des organisations terroristes par Washington. M. al-Charia devrait s'entretenir avec le président américain Donald Trump à la Maison Blanche le 10 novembre. Il s'agit de la première visite d'un chef d'État syrien aux États-Unis depuis l'indépendance du pays en 1946, marquant le début d'une nouvelle ère dans les relations bilatérales et ouvrant la voie à la reprise du dialogue interrompu par la confrontation entre les deux pays sur la question de la guerre civile syrienne et du terrorisme international.
L’initiative du président Donald Trump d’inviter M. al-Sharaa aux États-Unis marque un tournant dans la politique de Washington, passant d’une position intransigeante sur les sanctions à une tendance à un « réengagement conditionnel ». Dans un contexte où des puissances régionales comme l’Arabie saoudite, la Turquie et l’Iran cherchent toutes à s’implanter dans la Syrie d’après-guerre, les États-Unis semblent vouloir participer à la construction d’un nouvel ordre régional. L’annonce par M. Trump de la levée de la plupart des sanctions et son engagement à soutenir Damas dans son adhésion à la coalition internationale contre l’État islamique (EI) constituent à la fois un geste symbolique et le signe d’une stratégie américaine plus pragmatique.

Pour la Syrie, la visite à la Maison Blanche représente une occasion historique d'affirmer la légitimité et le prestige international du nouveau gouvernement. Après plus d'une décennie d'isolement, l'accueil d'al-Sharaa, ancien chef du groupe rebelle Hayat Tahrir al-Sham (HTS), comme chef d'État légitime témoigne de l'acceptation progressive par la communauté internationale de la nouvelle réalité politique à Damas. Depuis son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement syrien s'est efforcé de rompre avec son passé violent, adoptant une image plus modérée, plus acceptable pour la population et la communauté internationale. M. Michael Hanna, directeur du programme américain au sein de l'International Crisis Group, a déclaré : « Cette visite à la Maison Blanche illustre une nouvelle fois l'engagement des États-Unis envers la "nouvelle Syrie" et constitue un moment hautement symbolique pour le nouveau dirigeant du pays, qui poursuit son incroyable ascension, de commandant djihadiste à homme d'État de renommée internationale. » La décision des États-Unis, du Royaume-Uni et des Nations Unies de lever les sanctions contre le président syrien Ahmad al-Charia revêt non seulement une importance économique, mais constitue également un « passeport » pour la Syrie lui permettant d'accéder aux institutions financières internationales, ouvrant la voie au processus de reconstruction du pays, qui représente des centaines de milliards de dollars.
D’un point de vue stratégique, Washington perçoit la « nouvelle Syrie » comme un partenaire potentiel pour le maintien de la stabilité régionale, d’autant plus que des groupes extrémistes persistent dans l’est et le sud du pays. L’éventualité, pour les États-Unis, d’établir une présence militaire limitée sur une base aérienne près de Damas afin de soutenir un accord de sécurité entre la Syrie et Israël laisse penser que l’objectif de Washington est de contrôler la sécurité au Moyen-Orient de l’intérieur, et non de se contenter de la surveiller à distance.
Les deux parties ont un intérêt évident à améliorer leurs relations. La Syrie a besoin de ressources, d'investissements et d'une reconnaissance internationale pour se redresser économiquement. Les États-Unis ont besoin d'un partenaire stable pour empêcher le retour de Daech et limiter l'influence iranienne. Si les contacts à Washington débouchent sur un mécanisme de coopération concrète, cela pourrait marquer le début d'un processus de normalisation entre la Syrie et l'Occident, une étape qui serait non seulement symbolique après des années de conflit, mais qui contribuerait également à redéfinir l'architecture de sécurité du Moyen-Orient dans l'ère post-Daech.
Diplomatiqueéquilibrede Syrie
La visite historique du président intérimaire Ahmed al-Charia à Washington ne constitue pas un événement diplomatique isolé, mais s'inscrit dans une stratégie diplomatique multilatérale plus large menée par le nouveau gouvernement syrien. Après des années d'isolement, Damas semble vouloir établir des relations équilibrées avec les grandes puissances comme les États-Unis et la Russie, tout en intensifiant le dialogue avec les puissances régionales, afin de consolider sa position et d'accélérer la reconstruction du pays.

Avec les États-Unis, la Syrie souhaite rejoindre la coalition internationale contre l'État islamique (EI), tout en sollicitant une aide à la reconstruction et un allègement des sanctions, éléments essentiels à la restauration d'un pays qui vient de traverser quatorze années de guerre civile. Parallèlement, la Russie demeure un partenaire stratégique irremplaçable. Moscou joue un rôle clé dans la stabilisation de la sécurité et de la situation politique en Syrie, en maintenant une présence militaire, en soutenant les mécanismes de sécurité et en protégeant les intérêts stratégiques russes au Moyen-Orient. La visite de M. al-Sharaa en Russie à la mi-octobre 2024 a confirmé la nécessité pour la Syrie de maintenir un dialogue et une coopération à long terme avec Moscou afin de garantir la sécurité intérieure, la stabilité régionale et la reconstruction des infrastructures essentielles.
Le nouveau gouvernement syrien ne se contente pas de se concentrer sur les deux grandes puissances ; il a également développé ses relations avec les pays du Moyen-Orient et du Golfe, notamment la Turquie, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, afin d'obtenir un soutien économique et de renforcer sa coopération énergétique et commerciale. Parallèlement, la Syrie a aussi renforcé ses relations diplomatiques avec les pays européens pour sortir progressivement de son isolement, améliorer son image internationale et consolider la légitimité du gouvernement de transition.
Cette stratégie diplomatique multilatérale comporte plusieurs implications importantes. Premièrement, elle aide la Syrie à réaffirmer son statut d'État indépendant et souverain, minimisant ainsi le risque de dépendance vis-à-vis d'une seule partie. Deuxièmement, le fait de nouer des liens simultanément avec Washington, Moscou et ses partenaires régionaux permet à Damas de maximiser les avantages économiques et politiques, qu'il s'agisse d'aide, d'investissements ou de sécurité intérieure. Troisièmement, sur le plan régional, la Syrie rétablit son rôle d'équilibreur, contribuant ainsi à apaiser les tensions entre les puissances extérieures.
Cependant, selon les observateurs, les défis restent considérables. La Syrie doit préserver sa flexibilité en matière de politique étrangère, en évitant de se laisser entraîner dans des conflits d'intérêts entre les États-Unis et la Russie, ainsi qu'entre les puissances régionales. Parallèlement, le gouvernement al-Charia doit résoudre les problèmes internes tels que les divisions ethniques, la réconciliation entre factions et la stabilité sécuritaire, pour que ces initiatives diplomatiques soient véritablement efficaces à long terme. En définitive, la stratégie diplomatique multilatérale de la Syrie constitue un test important pour une « nouvelle Syrie » : rechercher la coopération internationale, affirmer sa souveraineté et viser le redressement économique et l'harmonie sociale.


