Faux et réalité !
Dans les petits marchés, au milieu des boutiques bondées, sur les réseaux sociaux ou les applications de commerce en ligne, on trouve facilement des sacs Gucci, des chemises ornées du logo LV scintillant ou des chaussures Nike. Tous sont bon marché, faciles à acheter et… irréels.
NhCe qui importe, ce ne sont pas les contrefaçons, mais la psychologie qui pousse les gens à dépenser de l'argent, voire à emprunter, pour s'offrir des produits de marque. C'est la psychologie du culte de la marque – et plus profondément, le désir d'être reconnu, vu et respecté.
Tous ceux qui achètent des contrefaçons ne sont pas pauvres. Tous ceux qui utilisent des contrefaçons savent qu'il s'agit de contrefaçons. Mais nombreux sont ceux qui font ce choix car ils aspirent à un monde où posséder un sac Chanel, authentique ou contrefait, suffit à incarner le luxe. Ils achètent un petit rêve, enveloppé dans un logo, dans les regards admiratifs fugaces d'autrui. Dans une société qui valorise de plus en plus l'apparence, posséder une marque devient une sorte de « passeport » silencieux qui nous permet de franchir les portes des préjugés.
Pourquoi avons-nous tant besoin de reconnaissance ? Se pourrait-il qu’au fond de chacun se cache un vide, un espace qui ne demande qu’à être comblé par un signe de tête, un regard admiratif, un compliment involontaire ? Ce besoin psychologique n’est pas propre à une entité. Il est instinctif. C’est la quête du sentiment d’être précieux, d’appartenir à un groupe, d’être plus distingué, plus beau, plus fier. Et dans un monde où la valeur humaine se mesure souvent à la consommation, le marketing devient le moyen le plus rapide de s’affirmer.
Le philosophe français Baudrillard affirmait que, dans une société de consommation, on ne consomme plus par besoin, mais pour la valeur symbolique des objets. Un sac n'est plus seulement un moyen de ranger des affaires, mais aussi d'afficher son appartenance à une classe sociale. Un téléphone n'est plus seulement un outil de communication, mais aussi la preuve que l'on n'est pas laissé pour compte. Et ces objets, qu'ils soient réels ou factices, peuvent créer une illusion passagère : je suis important, je suis vu. Selon Yuval Noah Harari, auteur du célèbre ouvrage « Sapiens : Une brève histoire de l'humanité », les produits et marques de luxe sont une « fiction collective », c'est-à-dire des choses qui n'existent pas objectivement dans la nature, mais que nous considérons et reconnaissons tous comme précieuses. Un sac Louis Vuitton n'est que quelques morceaux de cuir et des coutures, mais parce que des millions de personnes le perçoivent comme luxueux, il devient un symbole de classe.
Un jeune peut se priver de petit-déjeuner pendant un mois pour s'offrir une paire de chaussures contrefaites, identiques aux originales. Une jeune fille peut acheter un faux sac Dior juste pour une photo virtuelle. Ils agissent ainsi non par ignorance, mais parce qu'ils croient que sans cet objet, ils seront laissés pour compte. Ils ne se sentiront pas aussi beaux, aussi remarquables, aussi dignes d'admiration que les autres. Ainsi, les objets de luxe, authentiques ou contrefaits, deviennent un masque. Un masque beau, éclatant, qui nous aide à traverser les jours où l'on se sent insignifiant dans un monde où tous les regards semblent braqués sur nous.
Le sociologue polonais Zygmunt Bauman qualifie la société moderne de « société liquide », où tout est fluide et incertain. Dans un tel monde, on s'accroche à la consommation pour affirmer son existence. J'ai un sac de marque, un nouveau téléphone, des chaussures comme une chanteuse célèbre, ce qui signifie que je ne suis pas invisible. Mais hélas, cette reconnaissance est souvent éphémère. Derrière une belle photo se cache le vide. Derrière les compliments, l'épuisement de devoir sans cesse acheter, courir après, préserver son image.
Nous vivons dans une société où les réseaux sociaux et la publicité nous ont appris que si nous ne sommes pas beaux, élégants, de « bon goût », nous ne méritons pas d'être entendus, vus et qu'on ne se souvienne pas de nous. Les marques sont devenues des symboles de réussite. Ainsi, on accepte volontiers les artifices, pourvu qu'ils paraissent authentiques. C'est un compromis douloureux entre l'estime de soi et le désir de reconnaissance. Mais que se passerait-il si nous prenions le temps de nous observer et de nous demander : « Suis-je encore moi-même, sans ces artifices ? » La question est simple, mais elle peut nous donner le vertige. Car parfois, derrière l'apparence d'une marque se cache un être trop habitué à vivre sous le regard des autres. Nous ne mangeons plus pour nous rassasier, nous ne nous habillons plus pour avoir chaud, mais pour frimer, pour impressionner. Nous ne vivons plus en accord avec nous-mêmes, mais selon l'image que la société attend de nous.
La psychologie de la fidélité à une marque, si elle n'est pas éclairée et comprise, peut nous mener à une vie de faux-semblants, à la poursuite d'illusions. Les contrefaçons sont peut-être bon marché, mais le prix à payer pour une identité empruntée est loin d'être négligeable. Car dès lors que nous laissons les autres définir notre valeur à travers nos vêtements, nous renonçons au droit d'être nous-mêmes.
Et peut-être que le plus grand courage, dans ce monde d'illusions, n'est pas de posséder des objets de valeur, mais d'oser vivre pleinement, simplement, sans avoir à prouver quoi que ce soit. Car alors, nous réaliserons que la vraie valeur ne réside pas dans le sac que nous portons, mais dans notre façon de marcher, qu'un logo célèbre soit ou non à nos côtés.
Mais si les consommateurs représentent un aspect du problème, l'autre aspect, celui des contrefacteurs, mérite également notre attention. Qui sont-ils ? Sont-ils simplement des individus qui bafouent la morale par appât du gain ? Ou sont-ils contraints de vivre dans un système où l'authenticité engendre la pauvreté et la contrefaçon, la survie ?
De nombreux ateliers de contrefaçon sont installés dans des ruelles sombres, dans des zones rurales pauvres où les habitants ont peu d'alternatives. Un jeune ouvrier peut être embauché pour assembler un sac « Chanel » sans jamais savoir à quoi ressemble un vrai. Ils travaillent à partir de moules, d'échantillons et de commandes provenant d'intermédiaires invisibles. Pour eux, c'est un travail – un moyen de gagner leur vie, d'élever leurs enfants et de rembourser leurs dettes. Ils ne s'attardent pas sur la notion de « contrefaçon », leur seule préoccupation étant leur repas du jour.
Il existe aussi ceux qui gèrent des réseaux de contrefaçon sophistiqués, à grande échelle et très lucratifs. À ce niveau, la contrefaçon n'est plus une simple question de subsistance, mais une véritable stratégie commerciale. Ils jouent sur la psychologie des consommateurs : le désir d'avoir du style, mais les moyens financiers limités ; le désir de se démarquer, mais le manque de prestige. Ils proposent alors un substitut d'apparence similaire, moins cher et plus facile à obtenir. Une substitution discrète mais efficace. Dans une société où les marques sont un masque de dignité, la contrefaçon est aussi le produit d'un système déséquilibré. Dans ce contexte, les contrefacteurs ne sont pas forcément des criminels ; ce sont des acteurs qui contribuent au maintien d'une illusion collective où, du fabricant à l'acheteur, chacun joue un rôle pour vivre, être reconnu, ou simplement survivre. N'oublions pas non plus que les contrefacteurs sont souvent eux-mêmes consommateurs d'autres contrefaçons. Un ouvrier assemblant des sacs « LV » dans une usine peut porter de fausses chaussures Nike achetées sur un marché de nuit. Le propriétaire d'une usine de contrefaçon peut utiliser un téléphone « transporté à la main » avec une étiquette étrangère, mais composé de pièces bon marché. La spirale de la contrefaçon est à la fois une chaîne d'approvisionnement et une chaîne psychologique, où le créateur de l'illusion est aussi celui qui y vit. Car lorsque la véritable valeur devient un luxe, vendeur et acheteur sont contraints de chercher une version alternative, même s'ils savent qu'elle est fausse.
Il nous faut une vision plus nuancée : non seulement critiquer les contrefacteurs, mais aussi nous interroger sur les raisons de leur existence. Est-ce la société qui a engendré une telle demande de contrefaçons ? Et si nous voulons éradiquer la contrefaçon, il nous faut non seulement des lois, mais aussi une redéfinition de nos conceptions du succès, de la beauté et de la valeur humaine.
Les contrefaçons sont des contrefaçons matérielles. Mais plus grave encore, elles révèlent une rupture de confiance dans les valeurs authentiques, tant chez les consommateurs que chez les producteurs. Pour y remédier, il faut commencer par la vérité, oser vivre et agir avec sincérité, et croire que la vérité, même si elle n'est pas toujours visible, possède un poids irremplaçable.


